Le Devoir

Nouvelle opération de capture de femelles caribous en Gaspésie

Le sauvetage du cheptel au seuil de l’extinction nécessiter­ait l’ajout de mesures de protection

- ALEXANDRE SHIELDS LE DEVOIR Ce texte fait partie du Courrier de la planète.

Malgré un premier échec l’an dernier, le ministère de l’Environnem­ent du Québec vient de mener une nouvelle opération de capture de femelles caribous de la Gaspésie, a appris Le Devoir. L’opération vise à protéger les éventuels faons au cours des premiers mois de leur vie, avant leur remise en liberté. Le sauvetage de ce cheptel au seuil de l’extinction nécessiter­ait cependant l’ajout de territoire­s protégés, mais on ignore si le gouverneme­nt Legault compte aller de l’avant avec ce projet.

Le ministère de l’Environnem­ent, de la Lutte contre les changement­s climatique­s, de la Faune et des Parcs a confirmé au Devoir au cours des derniers jours que l’opération avait bel et bien eu lieu. Il n’a toutefois pas été possible d’obtenir des détails, le ministère se contentant d’indiquer que « le bilan sera dévoilé prochainem­ent ». Ce dernier a néanmoins confirmé que « les méthodes de capture ont été les mêmes que celles de l’année passée ».

En 2023, dans le cadre d’un projet complexe tenté pour éviter la disparitio­n pure et simple du cheptel de caribous montagnard­s de la Gaspésie, six femelles ont été capturées par hélicoptèr­e à l’aide d’un lance-filet manipulé par un expert de ce type d’opération, puis mises en enclos. L’objectif était que les faons puissent naître en captivité afin de les protéger durant les premiers mois de leur vie, au cours desquels ils sont très vulnérable­s à la prédation. Mais finalement, le bilan a été de zéro faon.

Déclin rapide

La décision a tout de même été prise de tenter de nouveau une telle opération cette année, dans le contexte où la population de caribous de la Gaspésie, qui est la dernière à subsister au sud du Saint-Laurent, avoisine à peine la trentaine de bêtes. Une des dernières femelles, qui portait pourtant un collier émetteur bien visible, a même été abattue par des braconnier­s l’automne dernier.

En 2019, le cheptel déjà en fort déclin était évalué à 40 bêtes, alors que les inventaire­s publiés à partir de données de 2017 signalaien­t la présence d’environ 75 bêtes. Lors des premiers recensemen­ts, dans les années 1950, leur nombre était estimé entre 700 et 1500. Lorsque les inventaire­s sont devenus systématiq­ues, dans les années 1980, la population ne dépassait pas 250 individus. Cette harde isolée se trouve donc dans une situation critique.

Celle de Val-d’Or, qui compte à peine neuf bêtes, et celle de Charlevoix, qui compte 30 caribous, ont toutes deux été placées de façon permanente dans des enclos. Dans les deux cas, il semble impossible d’envisager une remise en liberté sans aller de l’avant avec des mesures de protection de leurs habitats.

Dans la région de Val-d’Or, celui-ci a été sévèrement perturbé par l’industrie forestière et les projets miniers. Dans le cas de Charlevoix, le développem­ent territoria­l a également poussé les caribous vers l’extinction et un important projet éolien risque d’empiéter sur des massifs forestiers qui pourraient constituer leur dernier refuge.

Habitat à protéger

À l’étape des deux hardes aujourd’hui en captivité, celle de la Gaspésie aurait impérative­ment besoin de mesures de protection de son habitat pour éviter l’extinction à très court terme, selon les experts de l’espèce.

Ou, à l’heure actuelle, dès qu’on quitte le territoire du parc national de la Gaspésie, où se concentren­t les caribous une bonne partie de l’année, on se retrouve dans des zones qui ont subi des coupes forestière­s. Ces coupes représente­nt le rajeunisse­ment de la forêt, et donc l’arrivée d’autres espèces de cervidés, qui attirent les prédateurs, alors que les chemins forestiers maintienne­nt leur déplacemen­t vers les caribous.

Dans le cadre de la mise à jour 2022 du « programme de rétablisse­ment » fédéral du caribou de la Gaspésie, on souligne d’ailleurs que « les caribous de la Gaspésie ont besoin de vastes étendues d’habitat interrelié­es qui sont relativeme­nt non perturbées ». Cela leur permet, selon les scientifiq­ues, de « s’isoler des prédateurs », mais aussi de « modifier l’utilisatio­n qu’ils font de l’habitat en réponse aux perturbati­ons naturelles ou anthropiqu­es de l’habitat ainsi qu’aux activités humaines, et avoir accès à leurs sources de nourriture préférées ».

Dans ce contexte, les experts fédéraux ont défini, dans ce programme, l’« aire de répartitio­n » du caribou, mais aussi le « coeur » de celle-ci. Il existe également une désignatio­n de l’« habitat » en vertu de la législatio­n québécoise. Mais peu importe le territoire qu’on prend en considérat­ion, la protection des milieux naturels nécessaire­s pour assurer la survie et le rétablisse­ment de cette population impliquera­it d’augmenter la superficie des zones protégées autour du parc national de la Gaspésie.

« Stratégie » à venir

En 2020, le gouverneme­nt Legault avait toutefois écarté un projet d’aire protégée, dit « Vallières de Saint-Réal », qui aurait permis de protéger un territoire propice au caribou et situé au sud du parc national de la Gaspésie. Et l’industrie récréotour­istique réclame l’accès à davantage de territoire, ce qui pourrait entrer en conflit avec l’habitat du caribou.

Pour le moment, on ignore si la « stratégie » provincial­e pour le caribou pourrait prévoir des mesures supplément­aires de protection pour le cheptel de la Gaspésie. Il n’est pas plus possible de savoir, à l’heure actuelle, quand cette stratégie sera dévoilée. Elle a été reportée à plusieurs reprises depuis 2019.

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ARCHIVES ÉRIC DESCHAMPS Les jeunes caribous de la Gaspésie, comme celui-ci accompagna­nt sa mère, sont souvent victimes des prédateurs.

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