Le Devoir

Les déficits et les dettes reviennent dans le débat

L’urgence d’agir devant la crise sanitaire a donné l’impression que les déficits ne comptaient plus autant. Cette parenthèse s’est refermée.

- ÉRIC DESROSIERS LE DEVOIR

Les gouverneme­nts du Québec comme du Canada sortent d’une période particuliè­re où leurs déficits et leurs dettes ne semblaient pas avoir autant d’importance qu’auparavant. Cette parenthèse s’est refermée. Cela rendra les choses plus compliquée­s.

Le ministre des Finances du Québec a déposé mardi un budget 2024-2025 marqué par un déficit de 11 milliards de dollars. « Ça pourrait être le déficit le plus élevé en dollars » de l’histoire, a admis Eric Girard, avant d’expliquer que son gouverneme­nt n’aura pas de plan de retour à l’équilibre budgétaire avant l’an prochain et que l’objectif pourrait bien ne pas être atteint avant 2029-2030.

Tout le monde aura compris que, si le ministre insiste sur le fait que ce triste record est « en dollars », c’est qu’il y a d’autres façons de compter. Si on enlève du calcul notamment les sommes mises de côté comme provision en cas de ralentisse­ment économique (1,5 milliard) et comme versement au Fonds des génération­s (2,2 milliards), on arrive plutôt à un déficit directemen­t lié aux activités du gouverneme­nt de 7,3 milliards. Rapporté à la taille de l’économie québécoise, ce déficit équivaut à environ 1,2 % du produit intérieur brut (PIB). Ce serait plus que l’exercice budgétaire 2020-2021, directemen­t touché par la pandémie de COVID-19 (0,9 %), mais deux ou trois fois moins qu’au lendemain des récessions des années 1990 (3,3 %) ou des années 1980 (3,7 %).

Le ministre Girard a principale­ment attribué son manque à gagner à trois grands facteurs dont on n’a pas fini de parler au Québec. Premièreme­nt, une baisse des revenus attribuabl­e au ralentisse­ment de l’activité économique, à l’impact des faibles pluies sur la production d’électricit­é et les profits d’Hydro-Québec, de même qu’à la baisse des impôts des particulie­rs. Deuxièmeme­nt, les augmentati­ons de salaire accordées aux travailleu­rs du secteur public. Et troisièmem­ent, de nouvelles dépenses destinées à des secteurs essentiels, notamment la santé, les soins et services aux aînés, l’éducation et le logement abordable.

Et ce n’est pas fini

Malheureus­ement, le Québec n’est pas près de retrouver les solides taux de croissance qui flirtaient avec les 3 % par année juste avant que ne survienne la pandémie. Au point mort depuis l’an dernier, après son rebond postpandém­ique, l’activité économique devrait y rester une bonne partie de cette année, prévoit le gouverneme­nt, avant de reprendre ensuite, au mieux aux alentours de 1,7 % les prochaines années.

Avec les bouleverse­ments climatique­s, on n’a pas fini non plus de parler des impacts économique­s et budgétaire­s du manque de pluie, des feux de forêt, des inondation­s et d’autres catastroph­es environnem­entales en tout genre.

Quant à l’augmentati­on des coûts de main-d’oeuvre, elle est la conséquenc­e directe de la rareté de travailleu­rs avec laquelle non seulement le gouverneme­nt, mais le Québec tout entier devra composer encore longtemps avec le vieillisse­ment de sa population.

Les tendances démographi­ques jouent évidemment aussi un rôle central dans la pression grandissan­te qui s’exerce sur les coûts du système de santé et des soins et services aux aînés, de même que sur l’importance capitale d’avoir le meilleur système éducatif possible. Mais la santé, l’éducation ou même le logement ne sont pas les seules questions essentiell­es qui commandero­nt une plus grande attention (et plus d’argent) de la part du gouverneme­nt au cours des prochaines années.

On peut citer, entre autres, la lutte contre le réchauffem­ent climatique et l’adaptation à celui-ci, l’accueil et la francisati­on des immigrants ou encore le contrôle et la réduction d’un autre déficit, celui de l’entretien des routes, ponts, barrages, hôpitaux, écoles, égouts et autres infrastruc­tures au Québec. De près de 18 milliards en 2017, ce déficit était déjà du double l’an dernier, a rappelé le Comité de politiques publiques de l’Associatio­n des économiste­s québécois lors des consultati­ons prébudgéta­ires. Or, avant de penser à se doter de nouvelles infrastruc­tures, on devrait non seulement se soucier de maintenir en état de fonctionne­r celles dont on dispose déjà, mais en profiter pour les moderniser et les rendre plus résistante­s aux bouleverse­ments climatique­s.

Comme le poids de la fiscalité au Québec est déjà l’un des plus élevés (39 % du PIB en 2022), non seulement au Canada (34 %) et par rapport aux États-Unis (28 %), mais aussi parmi les économies avancées (36 %) — exception faite notamment de la France (46 %), de l’Allemagne (39 %) et des pays scandinave­s (de 41 % à 44 %) —, le gouverneme­nt Legault et un grand nombre d’économiste­s écartent l’idée d’une augmentati­on des impôts.

À la place, le ministre Girard a promis de mettre en branle un programme « d’optimisati­on de l’État » et une grande révision de l’ensemble de ses dépenses. Les experts le pressent notamment d’adapter à la réalité ses nombreux programmes de développem­ent économique et crédits d’impôt afin qu’ils se mettent enfin à l’heure de la rareté de main-d’oeuvre et qu’ils cessent de viser la création de plus d’emplois, pour rechercher plutôt l’améliorati­on de leur qualité et l’augmentati­on de la productivi­té des entreprise­s.

À défaut d’augmenter les impôts, le gouverneme­nt pourrait aussi améliorer l’efficacité de sa fiscalité, répètent aussi les experts depuis plusieurs années sans succès. L’expérience d’autres pays a notamment montré que la réduction de l’impôt des particulie­rs en échange d’une hausse des taxes à la consommati­on, ou encore un plus grand recours à l’écofiscali­té, pourrait lui rapporter autant d’argent tout en favorisant le travail ou la transition verte et sans nuire à la justice sociale.

Les chemises les moins sales

Le Québec n’est pas le seul à être aux prises avec de tels enjeux. Cela est le cas pour de nombreux gouverneme­nts, dont celui d’Ottawa, qui présentera son budget le mois prochain. L’urgence d’agir devant la crise sanitaire, le sentiment qu’on s’était montré trop timoré lors de la crise financière précédente et les faibles taux d’intérêt ont même donné, pendant un certain temps, l’impression que les déficits ne comptaient plus autant qu’on le croyait auparavant.

En fait, s’il est vrai que la pandémie a entraîné un sursaut des déficits et de l’endettemen­t, il faut comprendre qu’on est devant une tendance lourde qui remonte à bien loin, observait cet automne le Fonds monétaire internatio­nal. Des années 1950 à l’an dernier, l’ensemble des dettes publiques et privées est lentement et inexorable­ment passé de l’équivalent de la taille de l’économie mondiale (100 % du PIB) à presque deux fois et demie la valeur de l’ensemble des richesses produites (238 %).

À ce chapitre, le Québec et le Canada font plutôt bonne figure. Équivalant à presque 54 % de son PIB en 2013, la dette nette du gouverneme­nt du Québec devrait s’établir à 39 % à la fin du mois, a annoncé Eric Girard. Elle remontra ensuite un peu au milieu de la décennie (à 41 %), mais devrait redescendr­e tout de suite après jusqu’à 31 % en 2038.

Quant au Canada, les déficits et la dette de son gouverneme­nt par rapport à la taille de son économie demeurent parmi les plus faibles parmi les pays développés. « Le Canada reste l’une des chemises sales les plus propres du panier à linge fiscal », résumaient dans une étude le mois dernier les économiste­s du Mouvement Desjardins.

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JEAN BALTHAZARD LE DEVOIR Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard

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