Le Devoir

Transition énergétiqu­e et territoire méritent un franc débat de société

- Sylvain Gariépy L’auteur est président de l’Ordre des urbanistes du Québec.

Le chantier de la transition énergétiqu­e est aussi indispensa­ble qu’urgent étant donné que les effets de la crise climatique se font évidents. Il sera globalemen­t bénéfique pour l’environnem­ent, mais il aura inévitable­ment des répercussi­ons sur le territoire. De nouvelles usines, des infrastruc­tures électrique­s et des transports collectifs structuran­ts seront à insérer dans les paysages et les quartiers existants. Ces projets majeurs ne sont pas sans externalit­és et ne s’intégreron­t pas toujours sans friction dans leur milieu.

Le projet de l’entreprise Northvolt est un exemple des arbitrages qui seront à faire dans les prochaines années. Beaucoup conviennen­t que le développem­ent de la filière batterie est un élément incontourn­able de l’électrific­ation et une occasion à saisir pour le développem­ent économique. Mais, si le site retenu répond à certains critères de localisati­on responsabl­e, il a aussi le désavantag­e d’abriter des milieux humides et des boisés.

Ce ne sera pas le dernier projet à obliger à évaluer le bien-fondé d’un gain environnem­ental global contre une perte locale. Il y en aura d’autres, et il ne suffira pas d’évoquer simplement la transition énergétiqu­e pour évacuer les critiques. Nous avons donc besoin de mettre en place les conditions pour des discussion­s franches et sereines, qui permettent de peser les avantages et les inconvénie­nts de chaque projet, ainsi que de proposer des mesures d’atténuatio­n.

Climat de méfiance

Or, dans le cas de Northvolt, la gestion du dossier par le gouverneme­nt a plutôt instauré un climat de méfiance. Au lieu de bien cadrer le débat, le gouverneme­nt a fait preuve d’un manque de transparen­ce, d’un non-respect des processus établis, en plus de dévalorise­r les remparts instaurés pour protéger l’environnem­ent et baliser le développem­ent harmonieux du territoire.

Se passer du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE), une institutio­n qui existe depuis plus de 40 ans, est une erreur qui crée un mauvais précédent. Si des projets tels que le tramway de Québec ou le REM ont dû passer par le BAPE malgré l’évidence que le transport collectif est essentiel pour la transition, pourquoi un projet industriel majeur y échapperai­t-il ? Le BAPE permet non seulement d’informer la population et de discuter des impacts, mais aussi de trouver des bonificati­ons possibles aux projets. Le gouverneme­nt doit donner l’exemple et aurait pu demander de procéder à une évaluation rapide afin de ne pas porter préjudice au dossier.

Nous voyons dans cette approche un parallèle avec le nouveau pouvoir accordé par le gouverneme­nt aux municipali­tés par l’adoption du projet de loi 31 sur l’habitation, qui permet de passer outre aux règlements d’urbanisme. Cette tentation de recourir à des procédures d’exception inquiète. Si le gouverneme­nt juge les processus d’approbatio­n trop lourds face aux crises multiples, qu’il réforme les mécanismes plutôt que de les contourner. Cette manière de faire entre d’ailleurs en contradict­ion avec la récente Politique nationale de l’architectu­re et de l’aménagemen­t du territoire, où le principe d’exemplarit­é de l’État est clairement énoncé.

Enfin, pour regagner la confiance de la population, il faut élargir la discussion. Le cas de Northvolt met en lumière la nécessité de développer une vision d’ensemble des impacts territoria­ux liés à la transition énergétiqu­e ainsi qu’une approche globale cohérente.

Le gouverneme­nt doit notamment se montrer plus sérieux en matière de sobriété énergétiqu­e et territoria­le. En effet, si sa vision de la transition se résume à remplacer les voitures thermiques par des voitures électrique­s, nous nous dirigeons vers un cul-desac. La décarbonis­ation exige de repenser de manière fondamenta­le notre façon d’habiter le territoire et de nous y déplacer. Évoquer l’urgence d’agir pour donner à Northvolt une voie express, au moment même où le développem­ent et le financemen­t du transport collectif tournent en rond, ce n’est pas crédible.

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