L’impasse autonomiste de la CAQ
Le problème est double : non seulement l’autonomisme de François Legault ne mène à aucun gain significatif, mais il perpétue une sorte de vulnérabilité du Québec
C’est aujourd’hui, le 15 mars, qu’a lieu la rencontre bilatérale annoncée la semaine dernière entre les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault. Les sujets de l’immigration et du projet de loi fédérale C-64 seront assurément au centre de la discussion, ces dossiers ayant récemment fait l’objet de vives tensions entre Québec et Ottawa.
Le premier ministre Legault profitera de l’occasion pour réitérer ses demandes visant à freiner l’afflux de demandeurs d’asile sur le territoire québécois, pour réclamer un remboursement des dépenses liées à leur accueil en 2021 et 2022, et pour exiger le respect de ses seuils d’immigration. Il y a fort à parier que le droit de retrait du Québec du futur programme fédéral d’assurance médicaments sera également abordé.
Ces demandes de François Legault mettront une fois de plus à l’épreuve sa stratégie autonomiste déployée depuis son arrivée au pouvoir et sa capacité à protéger la nation québécoise au sein du Canada. Des propres mots du gouvernement, les enjeux des dernières semaines ne soulèvent pas uniquement des problèmes d’ordre économique, mais menaceraient l’identité québécoise elle-même. Ces nouveaux développements dans les relations Québec-Ottawa offrent l’occasion de réfléchir sur les résultats que nous a offerts la stratégie autonomiste poursuivie par la Coalition avenir Québec (CAQ) depuis maintenant plus de cinq ans.
Au Québec, l’autonomisme forme une longue tradition politique, qui a connu son paroxysme avec les gouvernements de l’Union nationale du siècle dernier. L’autonomisme prend racine dans l’idée que le Québec forme une nation distincte du reste du Canada, et que de cette spécificité découle la nécessité pour la nation québécoise de posséder les pouvoirs requis pour son épanouissement et la préservation de sa culture à l’intérieur du cadre canadien. Depuis la création de l’ADQ dans les années 1990, cette position a été associée à une troisième voie entre l’indépendantisme et le fédéralisme.
C’est notamment en reprenant cette approche et en proposant un « nationalisme, mais sans le référendum » que François Legault s’est fait élire en 2018. Plus encore, l’élection de 2022 devait être l’occasion de donner un mandat fort à la CAQ pour qu’elle puisse obtenir d’Ottawa des gains importants pour le Québec. Mais qu’est-ce que cette stratégie autonomiste nous a offert jusqu’à maintenant ? Le bilan a de quoi décevoir.
Un constat d’échec
Nous n’avons pas besoin de remonter à très loin pour dresser une liste des échecs de la CAQ en matière de négociations fédérales. Le revers le plus retentissant de l’année 2023 aura sans aucun doute été la maigre augmentation annuelle d’un milliard de dollars de transferts en santé sur les six réclamés. Plus récemment en janvier, c’est seulement 100 millions de dollars qu’a obtenus Québec pour couvrir les coûts relatifs aux demandeurs d’asile, alors qu’il en réclamait 470 et exigeait un remboursement similaire pour les années à venir.
Il y a deux semaines, l’imposition du visa aux visiteurs mexicains avait été célébrée par Christine Fréchette comme « la preuve que le Québec arrive à se faire entendre à Ottawa ». Or, non seulement cette mesure ne règle en rien la question de la répartition équitable des coûts liés à l’accueil des demandeurs d’asile entre les provinces, mais voilà que la semaine dernière, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, annonçait être prêt à augmenter le nombre de dossiers traités dans le cadre du programme de regroupement familial, quitte à dépasser les seuils fixés par Québec. La célébration aura été de courte durée pour la ministre Fréchette.
Nul doute que ces échecs ont pesé lourd dans les décisions du gouvernement de présenter ce mardi un budget déficitaire. Mais cette incapacité de l’autonomisme de la CAQ à défendre les intérêts du Québec dans la fédération a des conséquences économiques, mais aussi politiques. En effet, le gouvernement fédéral a déjà annoncé que le Québec ne pourrait pas toucher une pleine compensation sans condition s’il décide de se retirer du futur régime national d’assurance médicaments. C’est sans conteste un empiétement des champs de compétences québécois.
Des luttes symboliques sans rapport de force
Le problème avec l’autonomisme de François Legault est double. Non seulement il ne mène à aucun gain significatif, mais il perpétue une sorte de vulnérabilité du Québec en nous enfermant dans des luttes politiques où nous ne possédons aucun levier. Ces négociations sont essentielles pour la CAQ, car elles ont une fonction symbolique qui lui permet de se présenter comme le gouvernement à la défense du Québec.
Cependant, si cet autonomiste donne l’impression que la CAQ protège les intérêts québécois dans la fédération, la réalité est plutôt que cet affrontement-spectacle masque une détérioration constante du rapport de force du Québec. En effet, chaque fois que le gouvernement Legault essuie un échec, c’est le pouvoir québécois qui en prend un coup. Or, ne nous méprenons pas, les derniers gouvernements n’ont pas davantage amélioré le rapport de force du Québec. L’avantage, cependant, est qu’ils ne donnaient pas l’illusion que c’était le cas.
Le caractère symbolique des luttes de la CAQ se perçoit d’autant plus lorsqu’elle évoque la possibilité d’organiser des référendums sectoriels, comme cela a été le cas après l’épisode des transferts en santé l’an dernier ou plus récemment par rapport à l’immigration. On ne peut qu’être consterné devant cette conception pour le moins édulcorée que se fait la CAQ du pouvoir québécois. Comme si la liberté politique était un forfait à la carte. Néanmoins, peut-être qu’après deux mandats caquistes nous enfermant dans une perpétuelle position de faiblesse, le Québec cherchera à se sortir de cette impasse autonomiste et reprendra goût à aspirer à une réelle liberté politique.