Qui assurera la qualité de la formation en enseignement pour protéger les élèves ?
Devant la disparition graduelle des encadrements, il semble que l’on doive s’en remettre à une entité externe
Nous travaillons en éducation depuis quelques décennies. Certains ont toujours été contre un ordre professionnel en enseignement. D’autres ont préféré appuyer l’idée d’une association professionnelle portée par un groupe d’enseignants. De récentes circonstances nous amènent à nous rétracter. Elles nous font craindre pour l’avenir des élèves du Québec.
Par le passé, nous avions des réserves à l’égard d’un ordre professionnel pour deux motifs. D’abord, cette idée avait peu de légitimité auprès d’une majorité d’enseignants. En implanter un nous semblait contreproductif dans ces circonstances. Ensuite, l’Office des professions, l’organisme qui veille à ce que chaque ordre professionnel assure la protection du public, a statué sur l’inopportunité d’un tel ordre pour l’enseignement. C’était il y a longtemps. À l’époque, des encadrements suffisants existaient.
Depuis, la situation a bien changé. Il serait souhaitable que l’Office examine à nouveau le dossier. En effet, les récentes orientations gouvernementales en matière d’éducation, combinées à des tendances en accélération en matière de formation et d’embauche des enseignants, changent la donne.
Sacrifier la rigueur au nom de la pénurie
L’adoption récente de la loi 23 et de l’institut qui en découle confère au ministre de l’Éducation une mainmise sans précédent. Par exemple, le ministre approuve déjà des programmes qui n’ont pas fait l’objet d’une étude approfondie par des personnes indépendantes compétentes en matière de formation initiale et de développement professionnel. En ce moment, au nom de la pénurie, tout est considéré comme acceptable sur la base d’à peu près rien, et on semble prêt à délivrer des brevets (une qualification permanente d’enseigner, rappelons-le) à tout vent. On s’en remet au modus operandi déplorable d’un adulte par classe.
Accepterions-nous de confier un proche à un médecin, à un avocat, à un psychoéducateur ou à un planificateur financier qui n’aurait fait que l’équivalent d’une fraction de sa formation ? Hélas, le réseau de l’éducation confine de plus en plus les élèves à un tel contexte. Par exemple, ils sont parfois devant des personnes sans connaissance du développement de l’enfance ou de l’adolescence, qui sont peu conscientes des besoins et des défis de compréhension qui se posent dans la ou les disciplines qu’elles enseignent. Cela se produit sous nos yeux, sans qu’on s’interroge réellement à propos des effets collatéraux pouvant découler de telles décisions.
Nous sommes aussi alarmés par le manque de personnel et nous nous désolons du fait que peu soit mis en oeuvre pour retenir et valoriser les enseignants qualifiés. Nous regrettons que les voies de la facilité soient favorisées au détriment d’une réflexion de fond concertée qui envisagerait des modèles d’organisation de la tâche combinant les piliers historiques de la formation à la flexibilité. Il y a là un dossier à approfondir lors d’états généraux qui sont réclamés par un nombre croissant de personnes. À défaut, nous craignons que les orientations en émergence donnent lieu à une approche réductrice du métier, qui aura une incidence négative sur l’apprentissage des élèves.
Le Far West de la formation et de l’embauche
Par ailleurs, la récente dynamique de sanction ministérielle entraîne au moins deux effets pervers dans son sillage.
D’une part, un nombre grandissant d’universités se rapprochent du ministre pour faire approuver « leur petit programme ». Au nom de la pénurie, d’un rationnel à courte vue et de la course au financement, on pile sur des principes reconnus en formation à l’enseignement depuis des décennies : approbation indépendante des programmes, principe d’alternance entre cours et stages accompagnés et supervisés, etc. On piétine aussi une gestion qui assurait concertation et cohérence entre les universités. Dans les corridors, certains de nos collègues disent que nous entrons dans l’ère du Far West de la formation à l’enseignement. Tous les coups semblent permis.
Des discours creux et jovialistes imprègnent aussi le monde universitaire : « Ce n’est pas la durée qui compte » ; « On n’a pas le choix ! » ; « Les autres le font, pourquoi pas nous ? ». Reconnues comme maîtres d’oeuvre de la qualité de la formation avec le défunt CAPFE, des universités jouent de plus en plus le jeu du marché du gouvernement et la qualité semble devenir secondaire, alors que les contre-pouvoirs disparaissent. N’oublie-t-on pas le devenir de la jeunesse à travers tout cela ?
D’autre part, toujours sous le couvert de la pénurie, on assiste à un nombre record d’embauches de personnes non légalement qualifiées. Le propos ne vise pas à stigmatiser ces personnes, qui ont de bonnes intentions et de grandes qualités. Le problème réside plutôt dans la légèreté avec laquelle on considère leur formation. Nous insistons : accepterions-nous qu’un comptable prodigue des soins à un patient en suivant « un petit cours » de sciences infirmières ici et là ? Qui plus est, un cours peu encadré dans certains cas et sans supervision neutre dans d’autres. C’est pourtant ce qui se passe pour un nombre grandissant de personnes responsables de la réussite éducative des élèves. Une pénurie de personnel afflige aussi d’autres professions, et il serait impensable d’en diminuer la formation. Pourquoi le faisons-nous en enseignement ?
Si l’on fait le bilan, ce n’est pas tant d’un ordre professionnel pour protéger les élèves des enseignants que l’on a besoin en première instance. Il faut mettre de l’ordre pour surveiller les effets de la déréglementation en matière de formation à laquelle on assiste actuellement et les comportements institutionnels discutables auxquels elle donne lieu.
Par ailleurs, certains diront que le Protecteur national de l’élève existe. Or, il traite des plaintes spécifiques et n’assure pas une veille en continu des exigences de la profession, en considérant la pluralité des connaissances et des pratiques issues des recherches, y compris celles en matière de formation et d’insertion professionnelle.
Devant la disparition graduelle des encadrements, il semble qu’on doive s’en remettre à une entité externe pour préserver la qualité de la formation de professionnels au travail complexe, au bénéfice de la jeunesse québécoise.
Voilà où nous en sommes avec la formation et la dotation en enseignement. Malheureusement.
Accepterions-nous de confier un proche à un médecin, à un avocat, à un psychoéducateur ou à un planificateur financier qui n’aurait fait que l’équivalent d’une fraction de sa formation ?
* La liste complète des signataires est en ligne.