Une journée en CHSLD au temps de la COVID
Robin Aubert propose une immersion bouleversante dans le quotidien d’une résidence pour personnes âgées lors de cette période trouble
Le 23 mars 2020, le premier ministre du Québec, François Legault, décrète une « mise sur pause » complète de la province afin de tenter de ralentir la progression de la COVID-19. Du jour au lendemain, toute forme de rassemblement est interdite. Dans les CHSLD et autres résidences pour personnes âgées, les aînés, particulièrement vulnérables, sont laissés à eux-mêmes, privés de visites, bénéficiaires de soins déficients procurés par du personnel bienveillant, mais débordé. Plusieurs mourront seuls, sans que leurs proches puissent leur tenir la main ou leur chuchoter leur amour.
Dans Tu ne sauras jamais, son cinquième long métrage, Robin Aubert propose une immersion bouleversante dans le quotidien d’un résident dépourvu de contact avec l’extérieur, ainsi qu’avec la femme qu’il aime. Avec quatre murs, quelques accessoires minimalistes, de brillants jeux d’éclairage, un comédien principal et quelques figurants, le cinéaste parvient à évoquer la solitude, la langueur, la peur et la tristesse, mais aussi la réalité du personnel soignant, les failles de notre système de santé et les conséquences de l’isolement.
Paul Vincent, un vieil homme en fin de vie, compte les minutes alors qu’il est contraint de demeurer enfermé dans sa chambre en temps de COVID. Entre son lit et son fauteuil, il attend, son regard passant de la fenêtre aux photos de famille accrochées au mur, s’inquiétant de la toux incessante de sa voisine, tentant de maintenir sa passion pour l’ornithologie en écoutant des chants d’oiseaux enregistrés dans un magnétophone.
Au fil de la journée, sa solitude n’est interrompue que par quelques membres du personnel soignant débordés qui, malgré les retards dans la livraison des repas et l’impossibilité d’offrir tous les soins adéquats, prennent le temps — par une main tendue, une étreinte, une oreille attentive, un coeur ouvert — de soutenir le seul lien humain qui unit encore M. Vincent au monde. Sans nouvelles de son amoureuse, qui habite pourtant dans la même résidence, ce dernier mettra tout en oeuvre pour la retrouver, avec l’aide indirecte de ces précieux anges gardiens.
Cadrée dans un format 4:3 suffoquant, la mise en scène épouse l’état d’esprit du protagoniste en insistant, notamment grâce à d’ingénieux jeux d’éclairage, sur l’interminable passage du temps. La caméra, en retrait, multiplie les plans fixes et les longs travellings, se faisant ainsi l’observatrice d’une journée qui s’écoule à une lenteur débilitante — comme si son sujet était forcé de continuer à vivre hors du monde — et captant les gestes, les routines, les manies, les regards et les émotions enfouies qui ravivent une humanité que tout, dans l’environnement, cherche à taire.
La proposition, qui peut sembler aride, échappe toutefois avec brio au misérabilisme grâce au scénario lumineux et empreint de dignité de Robin Aubert et Julie Roy. Même dans les moments d’intense vulnérabilité — on pense notamment à une scène particulièrement marquante comprenant un changement de couche, une grande douceur et beaucoup de panache —, le duo expose le réel sans priver le protagoniste de son agentivité ni les soignants de leur bienveillance.
Cet exploit est rendu possible par le travail éblouissant de Martin Naud, 88 ans, qui, dans sa première apparition au grand écran, livre une performance incarnée, porteuse d’une sagesse que seule une connaissance aiguë de la vie et des changements de rythmes radicaux qu’elle impose saurait exhaler avec une telle vérité.