La « douce folie » de Marcel Sabourin dans toute son étrangeté
Au boute du rien pantoute revient sur plus d’un demisiècle de carrière d’un géant du cinéma québécois
On voit défiler le parcours d’un géant de la culture, mais ce n’est pas un film biographique traditionnel. Le documentaire Au boute du rien pantoute, sur la vie et l’oeuvre de Marcel Sabourin, est un film poétique et touffu. Une étrange créature, à l’image de la « douce folie » du personnage de 88 ans.
Ce film de 90 minutes signé par Jérôme Sabourin, le fils aîné du protagoniste, montre le cheminement d’un artiste marquant — comédien, scénariste et réalisateur, entre autres — qui a contribué à une cinquantaine de films et à une trentaine de séries, en plus d’enseigner à l’École nationale de théâtre. Directeur photo chevronné, Jérôme Sabourin réalise ici un premier film, qui sort en salle le vendredi 15 mars.
L’évolution de Marcel Sabourin est celle du Québec du XXe siècle. Ce fils d’un pharmacien et d’une mère au foyer du quartier Snowdon, à Montréal, s’est débarrassé des conventions de son époque pour devenir le personnage iconoclaste qu’on connaît depuis le milieu des années 1950. Il incarne la génération devenue adulte après la Seconde Guerre mondiale, celle qui a largué la religion catholique et donné ses lettres de noblesse à la langue québécoise.
On est un peu déstabilisé au début du documentaire. Le vieil homme a l’air confus dans sa grande maison de Beloeil. Il parle, parle, parle. Il parle aux fourmis, il compte le nombre de feuilles dans un arbre, il gesticule, grimace et fait le pitre. Mais on se fait rappeler assez vite que Marcel Sabourin n’est pas un clown, il est simplement comme il a toujours été : entier, libre et fou.
Cohérent, aussi. Généreux. Emphatique. Sans malice. Un peu à l’image du professeur Mandibule qu’il incarnait dans La Ribouldingue, dans les années 1960. Son rôle dans J.A. Martin photographe (prix du Jury oecuménique et prix d’interprétation féminine au
Festival de Cannes en 1977), qu’il a coscénarisé avec Jean Beaudin, reste aussi marquant.
La mémoire de Beaudin est évoquée dans une scène émouvante d’Au boute du rien pantoute. Sabourin trinque avec ses amis Denys Arcand et Fernand Dansereau en l’honneur de leurs compagnons de route Jean Beaudin et JeanClaude Labrecque, décédés à deux semaines d’intervalle en mai 2019. À près de 89 ans, l’une des grandes douleurs de la vie est de perdre ses vieux chums…
Influence marquante
Marcel Sabourin a eu une influence déterminante sur les artistes baby-boomers qui ont suivi ses cours de « rien pantoute » à l’École nationale de théâtre. Robert Charlebois raconte dans le film que son mentor a changé sa vie en lui enseignant l’improvisation et l’amour de la langue québécoise. Plusieurs des succès de Charlebois (Engagement, Tout écartillé, Te v’là, etc.) sont signés Sabourin.
C’est lui qui a créé la Ligue nationale d’improvisation, avec son ami Robert Gravel, en revenant d’un match du Canadien au défunt Forum de Montréal. On aurait pris davantage d’anecdotes de ses compagnons du milieu artistique, comme Michel Rivard, qui apparaît brièvement dans Au boute du rien pantoute pour raconter comment Sabourin enregistrait leurs conversations avec son fameux magnétophone à cassettes qu’il traînait partout.
Ce magnétophone revient à quelques reprises dans le décor du film, notamment dans les scènes oniriques tournées au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Ces minutes au cimetière font partie des passages qui alourdissent le documentaire, mais Sabourin est si flamboyant, si visionnaire, qu’on lui pardonne volontiers ces scènes un peu bizarres.
Au boute du rien pantoute
★★★ 1/2 Documentaire de Jérôme Sabourin. Canada (Québec), 2024, 90 minutes. En salle.