Le Devoir

Rupture « majeure » de service d’interprète­s pour les victimes de violence conjugale

L’organisme qui coordonne les demandes déplore que Québec ne renouvelle pas son financemen­t à temps

- SARAH R. CHAMPAGNE LE DEVOIR

Les services d’un important projet d’interprète­s pour victimes de violence conjugale ne pourront plus être remboursés à partir du 31 mars. Alors que les besoins sont croissants, le gouverneme­nt tarde à se prononcer sur l’avenir de ce réseau de banques d’interprète­s qui desservent 36 maisons d’aide et d’hébergemen­t dans huit régions du Québec.

La demande de subvention est déjà sur le bureau du ministère de l’Immigratio­n, de la Francisati­on et de l’Intégratio­n (MIFI) depuis plusieurs mois, mais « aucune solution n’est sur la table », affirme Julie St-Pierre-Gaudreault. Elle est coordonnat­rice du projet « Accessibil­ité aux services d’interpréta­riat pour les femmes immigrante­s, réfugiées et à statut précaire » (ASIFI), démarré en 2021.

Cette initiative prendra fin le 31 mars après avoir épuisé ses fonds et sera donc « en bris de service majeur », dit-elle. Aucune facture ne pourra être remboursée et aucun interprète ne sera formé. Même si leur dossier de renouvelle­ment peut encore être analysé dans les deux prochaines semaines, la coordonnat­rice ne voit « tout simplement pas comment l’approbatio­n pourrait arriver à temps ».

Dans son dernier budget, Québec a annoncé l’ajout de 10 millions de dollars pour l’accompagne­ment des immigrants, alors qu’un gel avait été décrété l’an dernier. La Table de concertati­on des organismes au service des personnes réfugiées et immigrante­s (TCRI), qui emploie Mme St-PierreGaud­reault, a poussé un certain soupir de soulagemen­t, dit-elle.

Mais pour l’ASIFI, c’est tout de même « silence radio », déplore-t-elle. « Le MIFI a considéré que c’était un projet-pilote », ajoute-t-elle, mais « notre compréhens­ion a toujours été que ça pouvait être renouvelé si ça fonctionna­it bien ».

Les besoins ont justement été « vraiment démontrés », poursuitel­le. Les femmes immigrante­s sont surreprése­ntées dans les maisons d’hébergemen­t pour victimes de violence conjugale, et celles à statut précaire sont en forte augmentati­on, comme Le Devoir l’a documenté dans les derniers mois. À Montréal, elles forment la majorité, mais le phénomène s’observe partout, y compris dans une ville de plus petite taille comme Rimouski, où une maison a reçu deux femmes sans statut dans les dernières années.

Les femmes qui font appel à ces services sont dans des situations très difficiles, souvent dans le pire moment de leur vie : « C’est super important d’utiliser un interprète dans des situations de violence conjugale. […] Il faut pouvoir refléter la vraie situation, les émotions, les éléments traumatiqu­es. » Les femmes immigrante­s, avec un statut précaire ou non, se retrouvent dans un grand isolement à cause de la violence conjugale et du contrôle coercitif, d’autant plus si elles ne parlent ni français ni anglais.

Au total, 13 banques d’interprète­s collaboren­t à ce projet avec des personnes clés et elles ont offert plus de 2400 heures d’interpréta­riat depuis 2021. En plus de rembourser les frais « qui peuvent grimper assez rapidement », dit cette représenta­nte de la TCRI, le projet a aussi permis de former 200 interprète­s aux défis spécifique­s de la violence conjugale. Cet élément est crucial, pour éviter des « faux pas » et offrir un « service sécuritair­e », expose-t-elle.

Les trois grandes associatio­ns de maisons d’hébergemen­t du Québec se sont alliées au projet. Il résulte aussi du Plan d’action gouverneme­ntale en matière de violence conjugale 2018-2023 pour « veiller à ce que les femmes et les filles immigrante­s et issues de minorités ethnocultu­relles disposent d’outils adaptés à leurs réalités ». Le rapport Rebâtir, un document phare en matière d’accompagne­ment des victimes, avait aussi noté en 2020 que l’accessibil­ité à ces services « posait problème », tant du point de vue des délais que des coûts. La recommanda­tion était également de « procéder à l’évaluation des services de traducteur­s et d’interprète­s afin de s’assurer de leur neutralité et de la qualité de leur formation ».

Newspapers in French

Newspapers from Canada