Un projet hybride sur l’« aide à mourir » suscite de vives réactions
Le pays discutera d’un modèle qui se situe entre le suicide assisté et l’euthanasie volontaire
Le projet de loi traînait sur le bureau d’un ministre depuis des mois. Emmanuel Macron l’avait promis pour son second mandat. Il a finalement choisi cette période pourtant on ne peut plus agitée de la campagne des élections européennes pour présenter son projet de loi sur la fin de vie. Le débat s’ouvrira donc à l’Assemblée nationale juste avant le scrutin du 9 juin.
C’est dans une longue entrevue conjointe aux quotidiens Libération et La Croix qu’il a présenté le texte qui sera bientôt soumis aux élus. Un projet ouvrant « la possibilité de demander une aide à mourir sous certaines conditions strictes », précise-t-il.
D’entrée de jeu, Emmanuel Macron assure que cette « aide » sera « réservée aux personnes majeures, […] capables d’un discernement plein et entier ».
Pas question, donc, de l’offrir aux mineurs et aux patients atteints de maladies psychiatriques ou neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme l’alzheimer. Seules pourront en faire la demande les personnes atteintes d’une « maladie incurable » engageant leur « pronostic vital à court ou moyen terme » et éprouvant des « souffrances physiques ou psychologiques » que l’« on ne peut pas soulager ». Accompagné par une équipe médicale, le malade aura deux jours pour revenir sur sa décision, et son souhait devra être exaucé dans les 15 jours qui suivent.
Un modèle hybride
En pratique, la France semble avoir opté pour une forme de compromis entre le suicide assisté que pratique la Suisse, l’Autriche et de nombreux États américains (où le patient s’administre lui-même un traitement mortel) et l’euthanasie volontaire pratiquée en Belgique et au Québec (où un tiers est autorisé à le faire). « Concrètement, une personne qui souhaitera mourir devra s’administrer elle-même le produit létal, sauf dans le cas extrêmement particulier où elle sera empêchée physiquement de le faire », expliquait au Figaro Giovanna Marsico, directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie.
Même si le sujet est en apparence consensuel — selon un sondage IFOP réalisé en 2023, 70 % des Français sont favorables à une aide active à mourir —,
il n’a pas fallu 24 heures pour qu’il provoque de très vives réactions. En particulier dans le corps médical.
Dès la mi-février, 13 organisations représentant 800 000 professionnels de la santé avaient publié une tribune dans Le Figaro estimant la pratique du soin « incompatible » avec celle d’une mort médicalement administrée. Les professionnels y voient « un glissement éthique majeur ». À l’opposé, l’ancien journaliste sportif Charles Biétry s’était félicité publiquement de cette décision. Atteint de la maladie de Charcot, il avait déjà planifié son suicide en Suisse.
« Il sera plus rapide d’avoir accès à un médecin pour demander une aide à mourir que pour être soigné », a pour sa part déploré Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP).
Le choix des mots
À l’origine de ce débat, il y a d’abord le choix des mots. En décembre 2022, la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, avait mandaté l’écrivain Erik Orsenna pour trouver les termes les plus appropriés. Le président a visiblement tranché en faveur de la terminologie québécoise — l’« aide à mourir » — plutôt que de celle plus tranchée de la Belgique et de l’Autriche, où l’on parle ouvertement de « suicide assisté » et d’« euthanasie ».
Simple artifice de propagande ? Selon le président, la formule « suicide assisté » ne convient pas puisqu’elle correspondrait « au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie ». Quant à l’« euthanasie », elle désignerait, dit-il, « le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement ».
Cette façon de dire les choses ne fait pourtant l’unanimité ni chez certains partisans de la loi ni chez certains de ses opposants. Parmi ces derniers, Jacques Ricot, philosophe et membre de la SFAP. Celui qui connaît bien le Québec estime que ce terme est un leurre. « Il est clair qu’Emmanuel Macron a opté pour une forme de suicide assisté et d’euthanasie, mais qu’il ne veut pas le dire. » Partisan d’une loi encore plus libérale, le président de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD), Jonathan Denis, juge que ce que propose le président, « c’est un suicide assisté. Et si ce geste nécessite l’intervention d’un tiers ou d’un soignant, ça s’appelle une euthanasie », a-t-il confié au magazine Le Point.
De part et d’autre, on reproche aussi au président Macron de ne pas avoir tenu sa promesse de présenter avant un tel projet de loi un vaste programme de développement des soins palliatifs, dont la moitié des Français en fin de vie seraient aujourd’hui privés. Tout au plus a-t-il promis que les 21 départements qui n’en ont pas seront dotés d’unités de soins palliatifs. Dans les milieux concernés, on estime que le milliard d’euros promis sur 10 ans ne couvrira que l’augmentation du nombre de décès durant la même période.
Comme au Québec, la loi française devrait permettre aux soignants d’invoquer une clause de conscience pour ne pas participer à la mort d’un patient. L’autre grand sujet de débat tient à ce choix d’autoriser l’administration d’un cocktail létal par un proche. Un petit-fils pourrait donc euthanasier sa grand-mère, a-t-on pu lire dans la presse. Une pratique qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde.
La fin du « modèle français » ?
L’affirmation selon laquelle, dans l’état actuel de la médecine, certaines souffrances ne pourraient être soulagées est aussi contestée. La loi dite Léonetti, du nom du député qui l’avait parrainée, oblige en effet les soignants à soulager la souffrance physique des patients en fin de vie par tous les moyens possibles, y compris par une sédation qui les plongerait dans un coma profond pouvant entraîner la mort.
Adoptée en 2005, cette loi, considérée jusqu’ici comme un « modèle français », avait été modifiée en 2016.
« Ce que dit le président est faux », affirme le philosophe Jacques Ricot. « Aujourd’hui, si on y met les moyens et le personnel, on peut traiter 100 % des douleurs physiques par diverses méthodes, quitte à entraîner la mort. Mais personne ne le sait et on se laisse abuser. La loi n’est pas appliquée, et 500 personnes meurent chaque jour sans y avoir accès. » Il cite notamment une étude réalisée à la maison médicale Jeanne Garnier où, sur 2557 patients, 9 % avaient exprimé d’une manière ou d’une autre une volonté de mourir. Une fois administrés les soins palliatifs, ils n’étaient plus que 3 % à faire une demande formelle. Demande réitérée par la suite par à peine 0,3 % des malades.
Alors que certains redoutent que ce projet de loi ne soit qu’« une première étape », d’autres le réclament ouvertement. L’ADMD déplore que l’intervention d’une tierce personne ne soit possible que pour les personnes incapables physiquement de se donner elles-mêmes la mort. Elle souhaite aussi que — comme au Québec depuis un jugement de la Cour supérieure — la loi n’exclue pas les malades atteints de maladies dégénératives comme l’alzheimer. Jonathan Denis craint qu’en imposant des conditions trop strictes, cette loi ne devienne « inapplicable ».
« Une digue va tomber, et l’on assistera à une augmentation sans pareil des cas de suicide assisté et d’euthanasie », déplore au contraire Jacques Ricot. Il en veut pour preuve les chiffres du Québec, où, 10 ans après l’adoption de la loi, plus de 7 % des décès découlent de l’aide à mourir. Un taux qui dépasse largement ceux de la Belgique et des Pays-Bas. On constate en effet qu’offrir l’euthanasie volontaire entraîne beaucoup plus de décès que l’offre du suicide assisté ; le rapport serait de 8 pour 1.