En sommes-nous à cohabiter ?
La crise du logement allant en s’intensifiant, en sommes-nous rendus à chercher d’autres scénarios ? Dans un sondage Léger réalisé pour RE/MAX Canada, 48 % des répondants canadiens disent envisager l’achat d’une propriété résidentielle selon une approche non traditionnelle. Plus précisément, 22 % considéreraient la location avec option d’achat, 21 % une copropriété avec un membre de la famille qui ne serait pas le conjoint, tandis que 17 % envisageraient l’achat en étant le principal occupant et en louant la partie restante.
Dans son analyse du Rapport sur le marché locatif de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), Mathieu Laberge, premier vice-président de l’économie et des perspectives de l’habitation, va plus loin et indique qu’à court ou moyen terme, d’autres options mériteraient d’être étudiées. Du moins, il suggère que des modes de logement non traditionnels empruntant à une forme ou à une autre de cohabitation fassent l’objet de recherches plus approfondies. D’autant qu’ils incitent à repenser notre façon de voir le logement.
Ailleurs sur la planète, « dans de nombreux autres grands marchés, différents ménages, et pas seulement des étudiants, partagent un logement pour joindre les deux bouts. Dans d’autres cas, les logements les plus abordables disposent de pièces communes, comme une cuisine, une salle de séjour ou des salles de bains. » On pourrait y ajouter l’allongement de la période d’amortissement des prêts hypothécaires comme on le voit ailleurs, plafonnée ici à 30 ans. En sommes-nous rendus là ?
En ce début d’année et avec la saison des déménagements qui approche, le portrait n’est pas très reluisant, avec une crise du logement doublée d’une crise de l’abordabilité. Au Canada, le taux d’inoccupation, à 1,5 %, n’a jamais été aussi faible en 20 ans. Quant aux loyers, ils ont connu l’an dernier une poussée de fièvre de 8 %, une hausse de loin supérieure à la moyenne historique de 2,8 %. « Beaucoup de gens au Canada sont incapables d’accéder à un logement du marché », souligne Mathieu Laberge.
Pire, dans les grands centres comme Vancouver, Ottawa et Toronto, le parc de logements locatifs susceptibles d’être abordables pour la tranche de 20 % des personnes ayant les revenus les plus faibles est pratiquement inexistant. Le spécialiste de la SCHL ajoute que, globalement, plus d’une personne locataire sur quatre au Canada occupe un logement inabordable compte tenu de ses moyens financiers. « Ces personnes doivent donc trouver une autre solution de logement ou sacrifier d’autres besoins essentiels pour joindre les deux bouts. »
Et ce n’est pas seulement à cause d’une carence en construction. En 2021 et 2022, les mises en chantier d’habitations ont atteint des niveaux historiques. Certes, elles ont diminué l’année suivante, mais pour restées bien au-dessus de la moyenne des 30 dernières années. « Il y a également eu un changement structurel au cours des dix dernières années. Les appartements ont constamment augmenté en pourcentage du nombre total de logements mis en chantier. La proportion de logements destinés à la location parmi l’ensemble des unités mises en chantier est passée de 14 % en 2013 à 36 % en 2023 », écrit Mathieu Laberge.
Or, plus de constructions ne signifie pas plus d’accessibilité au logement. « Nous devons reconnaître un fait très important : les logements locatifs neufs ne sont pas nécessairement abordables lorsqu’ils sont prêts à être occupés. Il pourrait s’écouler plusieurs années avant que l’offre supplémentaire ne fasse augmenter l’abordabilité. » Dans un rapport destiné aux décideurs publics, le Groupe de travail indépendant pour l’habitation et le climat, composé de 15 experts, dont l’ex-gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney, estime qu’un rétablissement de l’accessibilité au Canada requiert 5,8 millions de nouvelles habitations abordables d’ici 2030.
Plus près de nous, dans la grande région de Montréal, le Rapport sur le marché locatif (janvier 2024) de la SCHL indique que le taux d’inoccupation a encore diminué en 2023, à 1,5 % contre 2 % en 2022 et 3 % en 2021, pour afficher l’un des niveaux les plus faibles des 20 dernières années. Malgré le nombre élevé de mises en chantier en 2021 et en 2022, « l’offre de logements peine à suivre la forte croissance de la demande soutenue par la migration record, l’emploi et les coûts élevés de la propriété ». Le solde migratoire a plus que doublé au Québec en 2023 avec l’arrivée d’un nombre record de résidents non permanents, met-elle en exergue.
Il a résulté de cette rareté des logements disponibles dans un contexte de forte inflation une hausse record de 7,9 % du loyer moyen (pour un appartement de deux chambres). La SCHL parle de la plus forte hausse des loyers à Montréal depuis au moins 30 ans, qu’il faut mettre en relation avec une progression de 4,5 % du salaire moyen dans la région.
Et on parle, ici, d’une moyenne. Il est courant, chez les propriétaires, de profiter de la fin d’un bail pour hausser le loyer à un niveau dépassant les hausses recommandées par le tribunal. Pour les appartements de deux chambres, la variation du loyer moyen pour les logements ayant accueilli de nouveaux locataires a été de 18,9 % (à 1310 $), contre 5,7 % (à 1052 $) sans taux de roulement, soit un écart de 25 % du loyer moyen.
La SCHL ajoute dans son rapport que le taux d’inoccupation est particulièrement faible pour les logements dont les loyers sont les plus bas. « Par exemple, environ 1 % seulement des logements se louant moins de 1075 $ étaient vacants en octobre 2023. » Et que la rareté des logements disponibles et leur loyer plus élevé que la moyenne posent un défi pour les nouveaux ménages et ceux qui souhaitent ou doivent déménager. « Moins de 10 % des logements ont changé de locataires en 2023 dans le marché montréalais. » Par comparaison, le taux de roulement des locataires était d’environ 17 % de 2016 à 2019, avant la pandémie.