L’idéaliste et le tueur
Dans La fonte des glaces, Christine Beaulieu et Lothaire Bluteau se livrent à une joute psychologique tendue devant la caméra de François Péloquin
Dans l’une des ailes d’un centre de détention, Louise Denoncourt dirige un programme expérimental visant à endiguer le risque de récidive chez des prisonniers reconnus coupables de meurtre. Bête noire d’un système carcéral attaché à ses méthodes punitives, Louise est certes idéaliste, mais elle est aussi pragmatique, et les résultats qu’elle obtient sont parlants. Arrive au sein de son groupe de détenus Marc Saint-Germain, un tueur à gages qui est peut-être responsable de la mort de la mère de Louise. Le principe de transformation de l’individu que défend cette dernière s’appliquera-til ? Quant à Marc, sa participation au programme est-elle sincère ou opportuniste ? Dans La fonte des glaces, Christine Beaulieu et Lothaire Bluteau se livrent à une intense joute psychologique.
Le film est réalisé par François Péloquin, qui l’a coécrit avec Sarah Lévesque : on doit au tandem Le bruit des arbres, un beau film de 2015.
« Sarah et moi, on est comme des anthropologues : on se documente à fond, explique François Péloquin. On est même allés suivre des cours de criminologie. En fait, le tout premier flash à l’origine du film, c’est quand on a découvert ce phénomène où certaines jeunes agentes correctionnelles, peu après la fin de leurs études, entrent dans le système carcéral et tombent amoureuses de détenus en pensant pouvoir les changer — 22 ans et s’amouracher de gars vraiment pas fins… »
S’ensuivit une profonde réflexion chez les coscénaristes.
« Personnellement, je ne crois pas qu’on puisse changer les autres. Comme le dit un personnage : “On peut pas changer le monde.” Je crois au changement, mais il faut que ça vienne de soi. C’est la responsabilité de chacun de changer, d’évoluer, de grandir, de se guérir. C’est une responsabilité individuelle, mais les mains tendues, le regard bienveillant, ça aide : je pense qu’un système carcéral plus bienveillant peut donner de bons résultats. On peut améliorer le monde », nuance le réalisateur.
Des propos auxquels Christine Beaulieu fait écho lorsqu’elle évoque ce fameux programme fictif, qui consiste notamment à faire s’entraîner les détenus au canot sur glace : le travail à l’unisson et la collaboration y sont des questions de survie.
« François et Sarah ont complètement inventé ce programme-là, mais je trouve qu’il y a une logique là-dedans, note l’actrice. Pourquoi on ne proposerait pas autre chose à nos criminels ? On a cette problématique, dans notre société : on a des hommes violents, on a des féminicides, c’est un problème, et les hommes peuvent évidemment être violents envers d’autres hommes… Qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Il faut s’occuper des victimes, c’est primordial. Mais si on ne s’occupe pas de nos hommes, comme société, on ne réglera pas le problème. Je suis d’accord avec mon personnage, Louise, lorsqu’elle dit qu’elle croit plus à la transformation qu’à la réhabilitation. J’y crois profondément, d’expérience. J’ai fait un processus psychologique qui m’a transformée : pendant huit ans, j’ai vu une psy une fois par semaine, et ça m’a changée, comme personne, comme créatrice. Je n’aurais jamais pu écrire J’aime Hydro sans ce cheminement-là. Donc, je me dis que, si ç’a fonctionné sur moi, pourquoi ça ne fonctionnerait pas sur quelqu’un d’autre, sur un criminel ? »
En fait, dès la lecture du scénario, l’actrice comprit qu’il s’agissait de « son genre de film ». « Malgré le sujet, c’est plein de candeur et de beauté. Et puis, c’est positif », résume-t-elle.
Christine Beaulieu avoue avoir également apprécié le répondant de la protagoniste, qui ne s’en laisse imposer par personne. « C’est un personnage obstiné : ça me plaît. Le défi pour moi était de me placer par rapport à ma gang de gars : être suffisamment d’aplomb pour avoir une crédibilité face à eux, parce que Louise veut les gagner à ses idées, mais en même temps, je ne voulais pas qu’elle soit bête. Surtout pas. Il fallait qu’elle ait une ouverture, une candeur, comme moi je suis en vrai. »
Un sociothriller
De par son message et son contexte, La fonte des glaces est un drame social. Or, de par son face-à-face sur fond de possible violence, de possible vengeance, c’est aussi un thriller psychologique à combustion lente.
« Je voulais trouver un moyen de tendre la main au public, opine François Péloquin devant cette description. C’est-à-dire faire un film social, mais devant lequel le public va avoir du bon temps. On emprunte aux codes du thriller afin d’augmenter le plaisir. »
Ce « plaisir » est en outre accru par un Lothaire Bluteau à la fois inquiétant et à fleur de peau. Son Marc est un assassin imprévisible aux motivations aussi opaques que les eaux noires qui s’étendent sous la glace.
« T’sais, dans un rôle de soutien comme ça, où c’est pas moi qui run le show, ma job, c’est d’amener les couleurs nécessaires. En lisant le scénario, je me pose des questions du genre : “Est-ce que c’est des couleurs que j’ai déjà jouées ?”, “Est-ce que je suis tanné de les jouer ?”… Avec ce scénario-là et ce personnage-là, c’étaient de nouvelles couleurs. Et ça, c’est tentant en criss. Après, je me suis demandé si Marc ment ou s’il dit la vérité. Je ne le savais pas, et je ne voulais pas que le public le sache non plus. Là, je me suis vraiment mis à aimer ça. Est-ce que Marc manipule Louise pour écourter sa peine de prison ? C’est intéressant à jouer, cette ambiguïté-là. Et puis… un menteur, il faut qu’il se croie. »
De poursuivre la vedette de Jésus de Montréal au sujet de la carapace de son personnage qui se met à se lézarder en cours de récit : « C’est un gars qui n’a jamais eu d’amis, mais comme il embarque dans une game de manipulation avec ce programme-là, pour la première fois de sa vie, il se fait des chums. Moi, je suis un solitaire dans la vie, donc ça, ce tempérament de loner, je le comprenais. Quand j’arrive sur un plateau, c’est pour travailler, pas pour me faire des amis, mais ça arrive que je m’en fais… Et bref, Marc, il se fait pogner, il se prend à son jeu et se fait des chums. Moi qui suis justement habitué de jouer des solitaires, habitué d’être en bordure du cadre — Les fous de Bassan, Black Robe, même Jésus —, ça me donnait encore plus le goût. »
Héroïne en évolution
On l’aura compris, en dépit de l’inspiration de départ, il n’y a pas d’intrigue sentimentale dans La fonte des glaces.
« On l’a essayée, dans les versions initiales, mais c’était comme une distraction, révèle François Péloquin. Ce n’était pas le film. Louise a beaucoup évolué, au fil des itérations. Mais un jour, on a décidé de tout mettre à la poubelle et de créer une héroïne forte, qui dit les choses telles qu’elles sont. Et là, Christine Beaulieu s’est imposée, parce qu’elle est une femme comme ça dans la vraie vie. »
Parlant de vraie vie, pour l’actrice, la sortie du film est à la fois triste et gaie. En effet, alors que son personnage est mû dans sa quête par la mort de sa mère, Christine Beaulieu confie venir tout juste de perdre la sienne.
« C’est étrange, parce que là, soudainement, avec ma maman partie, on dirait que je comprends encore mieux la quête de Louise. T’sais, dans le film, il y a ce passage où Louise pleure, cachée dans les toilettes, et où on voit des bouts de films et des photos de sa mère ? C’était mon idée : j’ai fait la suggestion à François et Sarah et ils ont aimé ça… Ce sont des images de ma maman qu’on voit. »
De la candeur, de la beauté… Christine Beaulieu a non seulement su percevoir ces qualités, elle les a rehaussées.
Le tout premier flash à l’origine du film, c’est quand on a découvert ce phénomène où certaines jeunes agentes correctionnelles, peu après la fin de leurs études, entrent dans le système carcéral et tombent amoureuses de détenus en pensant pouvoir les changer FRANÇOIS PÉLOQUIN »