Roulez vers l’arrière
L’inflation et le recadrage budgétaire qu’elle impose aux gouvernements viennent de faire une nouvelle victime : le programme québécois Roulez vert. L’incitatif à l’achat de véhicules électriques se voit porter son coup d’arrêt, sous prétexte que sa facture croissante n’en vaut pas le bénéfice climatique. Un coup de frein à courte vue sur la longue route inachevée de la transition énergétique, et que le gouvernement de François Legault prescrit pourtant dans un tout autre empressement sur le terrain du développement industriel.
Tombé sous le couperet de l’optimisation des dépenses de l’État québécois, le rabais Roulez vert sera aboli progressivement d’ici trois ans. L’offre de véhicules neufs électriques ou hybrides étant déjà insuffisante pour combler la demande du marché, et toute nouvelle commande d’automobile mettant des mois, voire un an ou deux, à être livrée, l’incitatif à l’achat est pour ainsi dire déjà presque chose du passé.
Le programme était évidemment perfectible : le rabais n’est pas modulé selon le revenu de l’acheteur de véhicules plus onéreux qu’un modèle d’entrée de gamme à combustion ; il encourage le transport automobile plutôt qu’un virage vers le transport collectif ; et les batteries ne sont pas sans impact environnemental elles non plus.
Le gouvernement de François Legault n’a cependant pas annoncé une refonte de Roulez vert. Ni une autre voie qui aurait permis au Québec de poursuivre sur la lancée qui en a fait l’une des provinces les plus vertes au Canada. Près de 20 % des nouvelles immatriculations de véhicules à zéro émission y ayant été enregistrés l’ont été au Québec l’an dernier.
Ce qui fait dire au ministre de l’Environnement, Benoît Charette, pour justifier l’abandon précipité de Roulez vert, que la transition vers la voiture électrique est déjà bien entamée. Or, en Ontario, les ventes de véhicules électriques ont chuté de moitié dans l’année suivant l’abandon d’un rabais comparable.
Le ministre argue en outre que le coût du programme est cher payé par tonne de réduction de gaz à effet de serre (GES). Un rapport commandé par son propre ministère évaluait cependant que Roulez vert « détient le coût unitaire le plus faible parmi les programmes visant spécifiquement le transport de personnes » et qu’il avait « permis, de manière absolue, les réductions cumulatives de GES les plus importantes ». Entre avril 2023 et janvier 2024, Roulez vert a permis l’achat de près de 62 000 véhicules électriques ou hybrides rechargeables.
Qu’un gouvernement investisse d’une main des sommes records pour développer la filière batterie de ces véhicules — la voie de l’avenir, martèle-t-il — tout en retirant de l’autre l’incitatif vers ce même virage stratégique est d’une flagrante incohérence.
Aux prises avec un déficit record, François Legault retranche un incitatif à la transition verte de 410 millions de dollars, sur un budget des dépenses de 157 milliards. Tout en engrangeant un surplus de 1,7 milliard de dollars à son Fonds d’électrification et de changements climatiques, de même que des revenus records sur le marché du carbone (200 millions de plus que le 1,3 milliard anticipé). Le ralentissement économique épargne les coffres de l’Environnement, qui auraient pu financer un successeur écofiscal à Roulez vert.
Le gouvernement caquiste n’a pour l’instant rien annoncé de tel. Ses investissements pour le transport collectif n’ont au contraire augmenté que de 0,3 % dans le budget… L’écart entre le financement d’infrastructures de transport routier et collectif demeure intenable (71 % contre 29 %, respectivement, bien loin de l’objectif de 50 %-50 %).
À l’échelle canadienne également, les défis posés par la hausse du coût de la vie ont éclipsé, aux yeux des gouvernements, ceux de la lutte contre le réchauffement climatique. L’impopulaire tarification carbone de Justin Trudeau (qui ne s’applique pas au Québec) se heurte désormais à l’opposition farouche de sept des huit provinces qui y sont assujetties, qui implorent son gouvernement d’annuler la hausse prévue au 1er avril de 3 cents le litre de carburant.
Même le libéral Andrew Furey, de Terre-Neuve-et-Labrador — jusqu’ici un allié de M. Trudeau, que ce dernier ne peut taxer d’être de droite —, s’est mis de la partie en déplorant l’effet de l’« inflation persistante et pénalisante » sur ses concitoyens. La Saskatchewan a carrément cessé de la percevoir pour le chauffage résidentiel au gaz, bien que la loi fédérale l’y oblige. Il faut dire que le gouvernement Trudeau a lui-même ouvert la brèche dont les provinces se sont depuis saisies en exemptant de sa taxe carbone, pour ces mêmes raisons économiques, le chauffage au mazout, proportionnellement plus répandu en Atlantique.
Les cibles climatiques du Québec et du Canada sont plus proches qu’elles ne le paraissent. Et le défi pour les atteindre, tout aussi grand qu’il en a l’air, les GES étant repartis à la hausse et les températures ne cessant de battre des records.
L’angoisse financière causée par l’inflation et la morosité économique ne peut justifier de barrer la route à l’urgente action climatique.