Klaus Mäkelä, l’oiseau en feu
Le chef le plus convoité du moment dirige son Orchestre de Paris à Montréal cette semaine
Il est sans conteste le plus grand phénomène de la direction d’orchestre depuis l’apparition de Lorin Maazel à la fin des années 1950. Le Finlandais Klaus Mäkelä sera à la tête de son Orchestre de Paris à la Maison symphonique le 19 mars, une occasion aussi de découvrir le phénoménal pianiste vainqueur du concours Van Cliburn, Yunchan Lim, dans le 2e Concerto de Rachmaninov.
Klaus Mäkelä avait 22 ans lorsqu’il est devenu directeur musical de l’Orchestre philharmonique d’Oslo, et 25 ans lorsqu’il s’est inscrit de la même manière dans l’histoire de l’Orchestre de Paris. Il aura 31 ans, en 2027, lorsqu’il prendra officiellement la tête de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et, comme si cela ne suffisait pas, le secret de polichinelle le moins bien gardé du milieu musical est l’ardeur avec laquelle l’Orchestre symphonique de Chicago veut en faire le successeur de Riccardo Muti.
La trajectoire de Klaus Mäkelä n’a rien à voir avec un phénomène médiatique ou de mode, d’où les parallèles, très conscients et assumés, avec Lorin Maazel, qui enregistrait à moins de 30 ans des disques fulgurants avec le Philharmonique de Berlin pour Deutsche Grammophon, et, avant lui, Guido Cantelli, étoile filante, chef si prometteur mort à 36 ans en 1956 dans un accident d’avion.
Un documentaire
La présence sur scène à Montréal, mardi, ne sera pas la seule trace laissée par le chef finlandais. En effet, dans le cadre du Festival international du film sur l’art — dont la section musique classique, sinistrée comme jamais depuis deux décennies, ne vaut même pas un article de présentation —, un documentaire de Bruno Monsaingeon, Klaus Mäkelä. Vers la flamme, sera présenté le vendredi 22 mars à l’auditorium MaxwellCummings du cinéma du Musée à 18 h 15 et à l’auditorium Sandra et Alain Bouchard du Musée national des beaux-arts du Québec le dimanche 24 mars à 13 h 30. Ce film de l’un des plus grands documentaristes musicaux, qui s’est fait connaître par sa complicité avec Glenn Gould, nous permet de mieux connaître le chef, que l’on voit même diriger dans son enfance et son adolescence.
À l’appui de ces images, il apparaît que Klaus Mäkelä, qui a étudié aussi le violoncelle, semble avoir été quasiment programmé pour devenir chef d’orchestre. A-t-il eu un doute, à l’âge de 11, 13 ou 15 ans, sur son devenir ?
Aurait-il pu devenir violoncelliste plutôt qu’un chef d’orchestre ? « J’ai toujours voulu devenir chef. Le processus s’est fait naturellement. J’ai étudié les choses qu’il fallait et j’aimais les étudier. Je me suis beaucoup investi dans l’apprentissage du violoncelle, parce que je me rendais compte qu’un bon niveau au violoncelle m’apprenait aussi à être un bon chef d’orchestre. Et puis, on ne peut jamais savoir. Apprendre le violoncelle était donc une sécurité », dit le chef au Devoir depuis sa loge de la Philharmonie de Paris, où il vient de répéter la 11e Symphonie de Chostakovitch.
Le processus de répétition a une place importante dans le documentaire de Monsaingeon. Mäkelä y avance que lorsque le concept est clair et que le chef est confiant, le tandem cheforchestre peut aller quelque part et qu’il n’y a pas lieu de parler beaucoup. Mais comment rendre clair un concept si on ne parle pas (il est vrai que les orchestres n’aiment pas les chefs loquaces) ? « Aussi étonnant que cela puisse paraître, on peut faire passer énormément de choses par des éléments aussi simples que la posture, la présence, la manière de regarder les musiciens, la nature des gestes. On peut ainsi contrôler l’atmosphère de la musique. »
Klaus Mäkelä se fait fort de guider le caractère, la forme, par certains gestes. « Par exemple, dans Le sacre du printemps, vous devrez trouver la tension primitive et la force rythmique par certains types de gestes. La 11e Symphonie de Chostakovitch est de la musique à programme. Le premier mouvement est un moment de suspense où des motifs se répètent inlassablement. Puis arrive le 2e mouvement, où les choses commencent vraiment. La verbalisation est simple ; un mot, en fait. Le premier mouvement est “suspense”, le 2e mouvement est “action”. C’est ce dont on a besoin à la base. »
Photoshop
Les origines finlandaises de Klaus Mäkelä l’ont assurément aidé. Non seulement parce que son professeur, Jorma Panula (né en 1930), était un pédagogue d’expérience, mais aussi par l’entourage musical. Le jeune chef souligne à quel point il a été soutenu par les membres du Philharmonique d’Helsinki pour ses grands débuts. Dans d’autres pays (dont la France, pour ne pas la nommer), les orchestres équivalents se seraient délectés de tailler en charpie le bizuth. « C’est vrai que j’ai eu la chance de pouvoir travailler avec des gens prêts à m’aider. Le Philharmonique d’Helsinki me connaissait, car j’avais joué déjà pas mal de fois avec eux en tant que jeune violoncelliste. Ils m’ont donc accueilli comme un membre de la famille, avec autant de bienveillance que lorsque j’étais venu en tant qu’instrumentiste. J’ai aussi appris de mon maître, Jorma Panula, à faire confiance aux musiciens et à penser qu’ils vont faire de leur mieux. »
Le film de Bruno Monsaingeon contient une scène intrigante et difficilement déchiffrable lors de laquelle, après un concert de la 5e Symphonie de Chostakovitch à Oslo, Klaus Mäkelä se rend dans une cabine pour peaufiner le son et l’interprétation de ce qui semble être un enregistrement. Or il n’existe pas de disque de la 5e Symphonie de Chostakovitch avec Oslo et Mäkelä. « C’est avant le 2e ou le 3e concert ; j’écoutais ce que je pouvais mieux faire dans le concert. Nous allions faire de toute manière une session de raccords le lendemain. » De raccords ? « Oui, il s’agit d’une intégrale Chostakovitch à Oslo, mais elle n’est pas encore annoncée ! » nous répond le chef.
Parallèlement aux enregistrements Stravinski à Paris, dont Petrouchka succède ces jours-ci à L’oiseau de feu et au Sacre déjà parus, Decca publiera donc Chostakovitch enregistré en Norvège. Curieusement, dans cette cabine, Mäkelä semble modeler le son au-delà de ce qu’il pourrait faire au concert. Quel est son regard sur ses enregistrements ? Sa conception inclut-elle uniquement des nuances musicales ou accepte-t-elle un coup de pouce technique par rajustement de paramètres sonores ?
« Quand nous enregistrons de nos jours, tout a été fait et refait et très bien. Nous voulons donc pousser notre concept le plus loin possible. La priorité est évidemment la musique faite sur scène enregistrée lors de concerts et de sessions de raccords. C’est le coeur du CD et il est poussé
au maximum. Mais ensuite se pose la question : “À quel point peut-on encore raffiner les choses ?” » À ce stade, Klaus Mäkelä s’intéresse particulièrement aux balances. « Nous enregistrons avec beaucoup de microphones, ce qui nous permet de raffiner légèrement les balances. La postproduction, j’adore ça. Il faut prendre les meilleures prises tout en gardant l’illusion d’une seule prise. Mon idéal est de faire le mieux possible la musique sur scène et de l’améliorer un petit peu. » Une sorte de Photoshop sonore ? « En quelque sorte, oui », lâche-t-il.
Après 2027
Pour finir son intégrale à Chicago, Klaus Mäkelä devra se dépêcher. On le voit déjà prendre les rênes du Symphonique de Chicago, où il se rendra en avril. Le chef, évidemment, ne confirme rien, pas plus qu’il ne dément.
Par contre, il éclaire ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. « Après 2027, je vais à coup sûr être à la tête du Concertgebouw d’Amsterdam. Actuellement,
je suis avec l’Orchestre de Paris et le Philharmonique d’Oslo, deux relations que j’apprécie énormément et que nous améliorons », nous dit celui qui est aussi, en attendant, « partenaire artistique » de l’orchestre d’Amsterdam. « Ce qui arrivera après 2027, nous le verrons. Deux orchestres, c’est le bon dosage. Il faut voir comment on définit un partenariat ; comment un trouve le bon partenariat. Être directeur musical de deux orchestres est possible ; trois, c’est trop. »
À Montréal, le jeune et grand Finlandais, qui a l’allure d’un albatros quand il étend les bras, dirigera L’oiseau de feu de Stravinski. « Je pense que les choses ont changé depuis l’enregistrement. Le concept est le même : pour moi, c’est la dernière pièce du postromantisme avec un pied dans l’impressionnisme. La difficulté de L’oiseau de feu est de trouver le narratif sur 50 minutes et de préserver la tension. Mais nous l’avons tellement joué que c’est plus unifié, plus cohérent, plus libre : on sait de quoi on parle. »
Et si Berlin et Vienne l’appellent, le jeune Finlandais, qui essaye de pratiquer son violoncelle chaque jour, a-t-il encore le temps d’accepter leurs invitations à venir les diriger ici ou là ? « J’ai quelques créneaux pour quelques orchestres : Vienne, Berlin et aux États-Unis, mes préférés, Cleveland et Chicago, ce sont les quatre orchestres que j’essaye d’accommoder. »
L’OSM reçoit l’Orchestre de Paris
Debussy : Prélude à l’après-midi d’un faune. Rachmaninov : Concerto pour piano no 2 (soliste : Yunchan Lim). Stravinski : L’oiseau de feu (ballet intégral). Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä. Maison symphonique, le mardi 19 mars.