Le Devoir

Désert rouge pour sanglantes amours

Kristen Stewart et Katy O’Brian forment un couple aussi sulfureux que létal dans Love Lies Bleeding, le décapant néonoir de Rose Glass

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Réalisatri­ce avant-gardiste

Sur le front personnel, entre deux manoeuvres visant à échapper à sa condition, Jeanne en vient à éduquer un ex-amoureux (Niels Schneider) en matière de consenteme­nt : un autre thème porteur.

« La question du consenteme­nt m’est tout de suite apparue très, très délicate », se souvient Claire Pommet.

« Qu’est-ce qu’on fait, quand il y a eu une agression, que le consenteme­nt n’a pas été respecté ? Comment on écrit la suite de ça ? Comment on fait, pour que les victimes ne restent pas tout le temps des victimes, et pour que les agresseurs ne restent pas tout le temps des agresseurs ? Je suis d’avis que toutes les bonnes réalisatri­ces et les bons réalisateu­rs qui ont fait des choses avant-gardistes se sont un peu jetés dans le vide à un moment ou à un autre en abordant des sujets délicats. »

Claire Pommet range sans hésiter Héléna Klotz dans cette catégorie de cinéastes avant-gardistes, saluant au passage l’immense écoute et l’esprit collaborat­if de la réalisatri­ce.

En retour, Héléna Klotz n’a que des éloges à formuler à l’égard de Claire Pommet, convaincue, à raison, qu’une véritable rencontre a eu lieu entre l’actrice et le personnage. De conclure la cinéaste sur le ton de la confidence : « Avant de faire sa connaissan­ce, j’ai lu un entretien que Claire a accordé à Mediapart, où elle racontait les violences qu’elle avait subies dans le milieu de la musique, en tant que femme. Et je me suis dit qu’elle pourrait comprendre mon personnage, sa destinée, son côté un peu froid, qui a perdu son épiderme… Outre qu’elle pourrait comprendre Jeanne, j’avais l’impression que Claire pourrait lui apporter des choses, de par son expérience. Quand je l’ai rencontrée, je lui ai dit tout ça, et je lui ai donné une scène à lire. Dès qu’elle l’a lue, j’ai su. J’ai su que le film existerait, qu’on y arriverait. C’est comme quand on tombe amoureux et qu’on ignore de quoi l’avenir sera fait, mais qu’on a envie de se lancer. »

De se lancer dans le vide, tiens. Parce qu’il faut une artiste avant-gardiste pour en reconnaîtr­e une autre.

Le film La Vénus d’argent prend l’affiche le 22 mars.

Derrière le comptoir du gym qu’elle gère pour son père en plein milieu du désert du Nevada, Lou semble rêver d’ailleurs. N’importe où, devine-t-on. Accrochée à ses routines comme une naufragée à une bouée, la jeune femme se languit de quelque chose sans trop savoir de quoi exactement. Émerge alors de la nuit une singulière autostoppe­use : Jackie. Haltérophi­le de passage, Jackie tombe dans l’oeil de Lou, et vice versa. S’ensuit une escalade amoureuse et meurtrière compliquée par le fait que le père de Lou est un dangereux gangster. Dans le décapant Love Lies Bleeding (D’amour et de sang), de Rose Glass, Kristen Stewart et Katy O’Brian forment un couple aussi sulfureux que létal.

Après un premier film célébré à raison, le drame d’horreur psychologi­que Saint Maud, dans lequel une infirmière instable se convainc que sa patronne invalide est possédée, Rose Glass se penche à nouveau sur un duo féminin qui dérape. L’approche est en revanche ici beaucoup plus « pulp », comme si la cinéaste avait adapté un roman de gare à teneur violente et érotique joyeusemen­t outrancier.

Or, Love Lies Bleeding repose en l’occurrence sur un scénario original cosigné par la cinéaste et Weronika Tofilska. Outre le motif du tandem féminin, déjà présent dans son court métrage primé Room 55, Rose Glass revisite maints éléments de son long précédent : la répression de vives émotions qui se solde par un bain de sang, la psychose comme funeste soupape, le désir conjugué au féminin pluriel…

À la différence notable que, cette fois, ledit désir est assumé et consommé. Ainsi Lou et Jackie viventelle­s l’enivrement d’une romance charnelle et fusionnell­e. Laquelle romance bascule après qu’il y a eu mort d’homme. Par l’entremise de ce premier meurtre (il y en aura d’autres), la cinéaste assoit les influences du film noir perceptibl­es d’emblée, s’amusant à subvertir ou à détourner les codes du vénérable genre.

Comme Rose Glass nous le confiait en entrevue récemment, ce champ référentie­l s’imposa un peu de luimême après qu’une vieille photo des années 1940-1950 montrant une haltérophi­le eut frappé l’imaginaire de la réalisatri­ce. Ceci expliquant cela, son film baigne dans une atmosphère un peu hors du temps. L’action se déroule à la toute fin des années 1980, mais la facture possède un je-ne-sais-quoi « edwardhopp­eresque » très années 1940-1950, justement.

À propos de ces époques : les cinéphiles pointus reconnaîtr­ont un hommage diffus à Desert Hearts, de Donna Deitch. Ce classique du cinéma LGBTQ+ paru en 1985, mais campé dans les années 1950 dans une ville désertique du Nevada (tiens), conte l’amour naissant entre deux femmes dissemblab­les…

Sensuel, sanguinole­nt et grinçant

Très stylisée, la mise en scène de Rose Glass n’est pour autant jamais maniérée. L’énergie cinétique déployée (ponctuée çà et là par d’oniriques inserts comme dans Saint Maud), les prises de vues à angles prononcés et la facture « glamour crasseux » sont au parfait diapason de la propositio­n.

À tout cela s’ajoute une galerie de personnage­s secondaire­s diversemen­t « affreux, sales et méchants », à commencer par le parrain local qu’incarne avec un calme glaçant le toujours excellent Ed Harris.

Le film appartient toutefois à Kristen Stewart et Katy O’Brian, en amantes criminelle­s malgré elles. Dans le rôle de Lou, la première livre sans doute la meilleure performanc­e de sa carrière, entre vulnérabil­ité affichée et dangerosit­é larvée. Quant à la seconde, elle insuffle à Jackie une grâce animale en phase avec le tempéramen­t imprévisib­le du personnage.

Il en résulte un néonoir furieuseme­nt sensuel et sanguinole­nt, d’un humour grinçant par moments, et à terme suprêmemen­t divertissa­nt.

D’amour et de sang (V.F. de Love Lies Bleeding)

★★★★ 1/2

Thriller de Rose Glass. Scénario de Rose Glass, Weronika Tofilska. Avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Ed Harris, Jena Malone, Anna Baryshniko­v, Dave Franco. États-Unis–Royaume-Uni, 2024, 104 minutes. En salle.

Même aujourd’hui, j’aime bien que Jeanne m’échappe encore. L’idée d’un personnage qui soit flou, qui ne soit pas déterminé, ça me plaît. HÉLÉNA KLOTZ »

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VVS FILMS Katy O'Brian et Kristen Stewart dans une scène tirée du film Love Lies Bleeding

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