LA SÉLECTION POLAR DE SONIA SARFATI ET DE MICHEL BÉLAIR
De mots et de mort(e)s
Premier roman publié de Julia Bartz, La reine du noir porte avec un mordant jouissif les frustrations de l’autrice dont les deux manuscrits précédents n’ont pas trouvé preneur. Comprendre que cet efficace polar gothique se déroule, du fond jusqu’à la surface, dans le milieu littéraire. Les lecteurs comme les personnages sont enfermés en plein hiver dans un manoir perdu dans les Adirondacks où une romancière mystérieuse (un genre de J.D. Salinger féministe) qui donne dans l’horreur (une sorte de Stephen King au féminin) invite cinq jeunes femmes rêvant de publier un premier livre à participer à un séminaire d’écriture. Mais l’autrice s’avère un monstre de manipulation qui s’amuse à attiser la rivalité entre les candidates. Jusqu’à ce qu’elles commencent à tomber (mortes). Vers la moitié du roman. Après, ça déboule. Ça change sans transition de ton et de rythme. Le gothique « claustrophobique » devient gore et échevelé. Mais loin d’être inintéressant.
Sonia Sarfati
Coups de foudre
Le moins que l’on puisse dire est que l’arme du crime, dans Noir comme l’orage de Sonja Delzongle, est des plus originales. La foudre. Qui, en cette journée de solstice d’été sur l’île de Ré et ses voisines, s’abat sur sept personnes installées et apprêtées par une ou des personnes qui ne leur voulaient pas du bien. Le capitaine Max Fontaine va mener l’enquête. Tout en prenant soin de son coeur brisé : la belle Elsa vient de le laisser tomber. Avant d’être assassinée. Et le voici promu au rang de suspect dans cette affaire-là. Ça fait beaucoup pour un seul personnage auquel, en plus, il est difficile d’adhérer. Max est né dans un corps de femme et a transitionné, ce n’est pas un problème. Ce qui en est un, ce sont ses motivations, qu’une de ses collègues qualifiera d’« une insulte aux transgenres ». Commentaire bienvenu et nécessaire, qui atténue (un peu) le malaise ressenti pendant bien des pages. Heureusement qu’au coeur du roman se trouve une intrigue menant sur des chemins peu battus et cette arme du crime, elle, du tonnerre. Sonia Sarfati
Le livre de toutes les douleurs
Frédérique Santinelli et Guillaume Volta se remettent difficilement de leur dernière enquête (voir Les agneaux de l’aube chez le même éditeur) quand un colis étrange apparaît sur le perron de Santinelli. C’est un livre démoniaque : Le calendrier de Tityos décrit 23 façons différentes de tuer une femme et la prof de littérature comprend rapidement que le manuscrit codé lui est destiné. Elle y repère le nom d’une femme recherchée depuis longtemps par la police et contacte alors son ami Volta, enquêteur à la Sûreté du Québec… et bientôt ils plongent tous deux dans une histoire rocambolesque. L’affaire, qui fait référence à la mythologie grecque tout comme aux pires déviances, s’avère rapidement piégée de tous côtés et les enquêteurs mettront au jour des énigmes qui ne pourront être résolues que dans un prochain livre. Au fil des années, Steve Laflamme a développé une écriture qui le situe quelque part entre Benoît Bouthillette et Patrick Senécal. C’est déjà remarquable, mais on peut poser que le meilleur de son oeuvre reste à venir. Michel Bélair
La liste finale
L’oeuvre d’Agatha Christie continue d’inspirer les cinéastes et les romanciers et ceux qui la connaissent reconnaîtront ici une intrigante reprise de Dix petits nègres (rebaptisé Ils étaient dix il y a quelques années). Il n’y a cependant pas d’île ici sur laquelle se retrouveraient les futurs sacrifiés : qu’une liste plutôt, reçue par chacune des victimes désignées. Elle contient neuf noms que les policiers n’arrivent pas à relier même quand les cadavres s’accumulent à travers tous les ÉtatsUnis. On suivra Jessica Winslow, qui fait partie du FBI… et de la fameuse liste, mais elle non plus ne parvient pas à trouver un lien pouvant y expliquer sa présence. Puis finalement, une faible possibilité prend forme après la disparition de Winslow : la vengeance serait à la source de cette vaste opération planifiée dans ses moindres détails. Mais qui venge qui ? Et pourquoi ? Peter Swanson fait durer le suspense jusqu’à la toute fin grâce à une écriture nerveuse dont le rythme est fort bien rendu par la traduction. Michel Bélair