L’alimentation au Québec, entre progrès et défis
L’épicerie,
En l’espace de 25 ans, le contenu de nos paniers d’épicerie et notre quotidien alimentaire ont profondément changé. Qui aurait, par exemple, prédit que notre sauce à spag côtoierait un jour de l’houmous dans notre frigo, ou encore que nos viandes se véganiseraient ? Personne. Mais s’il y a une émission qui a accompagné, voire anticipé ces multiples changements, c’est bien sur les ondes d’ICI Télé. Nous avons donc profité de la participation de ses deux dynamiques animatrices à la 25e édition de Montréal en lumière pour aller à leur rencontre… et faire un grand tour de table.
L’émission L’épicerie fait tellement partie de nos habitudes au petit écran qu’on oublie souvent qu’elle a été créée en 2002. Elle avait pour but de guider les consommateurs dans leur cuisine et dans leurs achats alimentaires, alors que les cours d’économie familiale avaient été abolis au secondaire. Un ajout au programme qui est rapidement devenu un rendezvous hebdomadaire sacré pour découvrir et comprendre l’évolution de notre alimentation.
En 2002, les assiettes des maisons québécoises avaient déjà connu des changements. « On était déjà loin du mode de vie de la génération précédente, indique Johane Despins, qui coanime l’émission depuis 16 ans, dont 2 avec Myriam Fehmiu. Nos grands-mères, souvent femmes au foyer et responsables de grosses familles, préparaient trois repas chaque jour. » Mais, à compter des années 1970, cette vision traditionnelle de l’alimentation a cédé sa place à une émancipation des femmes de leur cuisine, ainsi qu’à une ouverture progressive sur le monde.
« L’offre a littéralement explosé, confirme l’animatrice qui quittera l’émission le 30 juin. Actuellement, on compte plus de 30 000 produits dans une épicerie moyenne, dont de nombreux prêts-à-manger. On ne base donc plus nos repas sur du steak-blé d’Inde-patates et du poisson congelé comme on le faisait encore il y a 25 ans. Ou du moins, si on le fait toujours, on sait maintenant ce qu’il y a en face de nous ! »
Avancées et limites
Johane Despins et Myriam Fehmiu estiment que beaucoup de choses ont changé en mieux depuis 25 ans en matière d’alimentation. Elles soulignent tout d’abord l’importance de l’accès à l’information, qui a permis aux médias (à ne pas confondre avec les réseaux sociaux, où l’on entend tout et son contraire) d’enquêter, d’évaluer et, s’il le faut, de dénoncer les pratiques du milieu. Provenance des aliments, méthodes d’élevage, scandales comme l’augmentation artificielle du prix du pain tranché ou le buttergate… « Un grand chemin a été parcouru depuis l’époque où il était difficile d’obtenir des informations, ne serait-ce que de la part de Santé Canada », mentionne Johane Despins.
Les deux animatrices notent d’autres progrès, comme notre attrait pour les cuisines des différentes communautés culturelles qui peuplent le Québec. Elles soulignent aussi la réappropriation de nos richesses marines exportées, ou bien l’évolution de l’affichage des produits, dont on peut désormais connaître les ingrédients. Cela conduit peu à peu à une simplification des recettes. Elles soulignent également la conscientisation des consommateurs au caractère local, équitable et durable de leurs aliments. « Il y a 25 ans, juste une poignée de chefs misaient sur le local, alors qu’aujourd’hui, c’est devenu une norme, y compris dans certains concepts de fast-food », dit Myriam Fehmiu. Malgré tout, des constats demeurent : « Ce sont encore les prix, et non la valeur ajoutée santé, durable ou éthique, qui dirigent le contenu de nos assiettes, surtout en ce moment », reconnaît Johane Despins. « Il faut aussi mentionner que tous ces gains sont fragiles, et qu’une iniquité règne toujours en matière d’alimentation au Québec. Les déserts alimentaires et le prix des produits frais, inaccessibles pour certaines personnes, en sont des exemples », complète sa collègue.
Un avenir sans cuisine ?
« Un grand chemin a été parcouru depuis l’époque où il était difficile d’obtenir des informations, ne seraitce que de la part de Santé Canada » – Johane Despins
Alors que les émissions et les cours de cuisine pullulent autour de nous et qu’il n’a jamais été aussi facile de s’équiper et de s’approvisionner, les deux animatrices de L’épicerie observent un autre changement majeur dans notre rapport à la nourriture.
« La nouvelle génération dans la vingtaine ne se nourrit plus comme les précédentes, explique Johane Despins. Elle va suivre des tiktokeurs, tels que Laurent Dagenais, pour se faire plaisir en cuisinant en fin de semaine. Mais dans son quotidien, elle aime consommer du prêt-à-manger. La moitié de son budget passe même dans des dépenses de restaurant et de repas livrés à domicile. » L’experte souligne que cet attrait pour l’instantanéité se marie à celui de la nouveauté, si bien qu’il est difficile, voire impossible de fidéliser cette clientèle particulièrement volatile.
« En ajoutant à ce phénomène les récentes technologies, la densification immobilière qui tend à proposer des logements de plus en plus petits — au Japon, beaucoup ne possèdent même plus de cuisine — et l’éclatement de traditions telles que les grandes tablées, tout me porte à croire qu’à l’avenir, les gens commanderont en ligne leurs aliments de base. Ils ne se rendront à l’épicerie, devenue une halle alimentaire, que pour acheter des produits frais et des plats prêts-à-manger », lance l’animatrice.
Myriam Fehmiu évoque également l’impact qu’aura le réchauffement climatique, déjà visible dans notre production agricole, sur notre approvisionnement dans le futur. « Il faudra s’ajuster à un moment donné et accepter que la variété de l’offre dont nous disposons aujourd’hui se réduise. Mais ce sera pour le mieux, je pense, pour nous comme pour notre planète. » Un avis partagé par sa collègue Johane, qui plaide, elle aussi, pour un changement de culture dans nos politiques alimentaires. « Et vous savez, conclut Myriam en souriant, on peut tout à fait faire de la haute gastronomie avec un simple rutabaga ! »