Marx and cheese façon mille-feuille
Les brillants auteurs du blogue Vas-tu finir ton assiette ?, Caroline Décoste et Mathieu Charlebois, publient leur premier ouvrage sous forme d’essais absolument hilarants sur les produits d’épicerie farfelus et l’émission avec une touche d’anticapitalism
C’est en 2014 que la réviseure, autrice et traductrice Caroline Décoste et l’auteur d’humour et réalisateur de balados Mathieu Charlebois lancent leur blogue Vas-tu finir ton assiette ?, dans le but d’allier leur « amour de la bonne chère et de la grande littérature ».
Au départ, les deux complices se concentrent sur l’analyse humoristique des produits ultratransformés les plus surprenants des allées d’épicerie. Puis, ils récapitulent chaque épisode de l’émission Les chefs !. Les adeptes de leur blogue attendent avec impatience leur version de cette populaire émission diffusée sur les ondes d’ICI Télé.
Étant donné les années d’expérience des deux auteurs du blogue, on retrouve notamment dans leur livre la recette gagnante pour faire un bon épisode de cette émission. Voici quelques exemples d’ingrédients clés.
– La musique qui fait monter la tension. À entendre l’orchestre qui s’énerve la timbale de façon épique comme dans un opéra de Wagner, on se demande si quelqu’un va mourir si le rôti de pintade n’est pas adéquatement ficelé.
– La phrase « Ça sert à rien » lancée tout de suite après qu’un candidat ou une candidate a annoncé fièrement qu’il ou elle allait utiliser une technique cool, comme « désosser » des asperges dans le Thermomix ou préparer des céleris de quatre façons (en espuma, sous vide, en tartare, puis avec du beurre d’arachides). – Un défi final qui n’a pas de bon sens. L’ouvrage présente un parfait équilibre entre des articles de blogue revus et augmentés et de nouvelles créations tout aussi délirantes les unes que les autres.
Un jeu d’écriture socialiste
Pour le duo d’auteurs, les détours empruntés lors des séances d’écriture communes sont toujours plus intéressants que le sujet principal. « Les produits ne sont qu’un prétexte pour écrire 2000 mots dessus », explique Mathieu Charlebois. Avec l’offre alimentaire qui domine les tablettes d’épicerie, ce ne sont pas les sources d’inspiration qui manquent. « On aime les produits alimentaires bizarres et, même quand on pense avoir fait le tour de l’épicerie, on trouve encore des façons de faire des jokes de poutine », ajoute Caroline Décoste.
Parmi leurs détours préférés, il y a ces réflexions à propos du caractère capitaliste du contenu de notre panier d’épicerie et à propos de l’individualisme dans notre société. L’essai « Quand je vais au marché (de pauvre), je mets dans mon p’tit panier (de pauvre)…» donne le ton. « Le bon pauvre, c’est celui qui consacre toute son énergie à sa propre survie et à rien d’autre. En rentrant de son shift au salaire minimum, il doit s’arrêter dans trois épiceries, en autobus ou à pied, pour bien profiter des spéciaux, en suivant son tableau Excel à 12 onglets qui répertorie tous les bons achats de la semaine annoncés à L’épicerie.»
Dans le livre, leurs observations montrent aussi comment les habitudes alimentaires des gens peuvent se traduire de façons complètement différentes selon leur classe sociale. Le texte intitulé « Karl Marx and cheese » en est un bon exemple. « Quand Caroline a parlé du “macaroni en boîte le plus écoeurant”, Mathieu a pensé qu’elle voulait dire “le meilleur” ou “le plus extraordinaire” et qu’elle parlait d’un de ces macaronis fancy faits avec du fromage fermier au lait cru déshydraté de manière artisanale (en soufflant patiemment dessus) par un producteur local et bio dont les vaches sont carboneutres. Du genre qu’on trouve sur les tablettes en bambou de la boutique d’aliments naturels, entre le mac and fauxcheese et celui sans gluten avec des macaronis de quinoa et du fromage de quinoa vendu dans une boîte en quinoa. Mais non. Par “macaroni en boîte le plus écoeurant”, Caroline voulait dire le mac’n cheese Bold and Cheesy de Cheetos, dont le design graphique subtil de la boîte avec un guépard orange à lunettes fumées qui se gave la yeule de pâtes fluo nous met spontanément en tête une toune des Vengaboys. »
Après le livre, le balado ? Une version télé de leurs analyses de l’émission Les chefs ! ? Une chose est sûre, on ne veut pas en finir avec le concept de Vas-tu finir ton assiette ?.