Moins de paperasse, plus de terrain Quel avenir pour le travail social ?
Trop de bureaucratie, pas assez de temps passé auprès de ceux qui en ont besoin : c’est le constat unanimement partagé par les actrices et les acteurs du travail social et qui ressort des consultations menées l’an dernier, sous la houlette de l’Institut du Nouveau Monde, en prévision du sommet des États généraux du travail social, qui aura lieu les 19 et 20 avril prochains à Montréal. Alors que la réforme Dubé, adoptée sous le bâillon en décembre, fait la part belle au curatif et au médical plutôt qu’au préventif et au social, tout le milieu se mobilise pour démontrer la pertinence de ses interventions auprès des personnes défavorisées ou vulnérables et façonner le travail social de demain. À quelques jours de la Semaine des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux, ce cahier s’intéresse au rôle que jouent ces professionnels au sein de la société québécoise et aux principales propositions mises en avant ces derniers mois pour que le travail social puisse mieux répondre aux besoins de la population dans les années à venir.
Lancés au printemps dernier, les États généraux du travail social ont mené à une vaste consultation publique impliquant une multitude d’actrices, d’acteurs et d’organismes au Québec. Avec pour objectif principal de définir les contours du travail social de demain dans un monde en pleine transformation.
De l’eau a coulé sous les ponts depuis la tenue, en 1998, des États généraux de la profession lancés par l’Ordre des travailleurs sociaux du Québec. À l’époque, cet acte fondateur a joué un rôle véritablement structurant, en soutenant notamment l’identité professionnelle des travailleuses sociales et des travailleurs sociaux. Mais de nombreux et divers bouleversements ont rendu plus que nécessaire l’organisation de nouveaux états généraux concernant le travail social dans sa globalité, et plus seulement la profession.
Amorcée au printemps 2023 avec le soutien de l’Institut du Nouveau Monde (INM), cette démarche réflexive et collective s’est donné pour ambition de « façonner le travail social de demain », de manière à pouvoir mieux répondre aux nouveaux enjeux posés par une société en proie à d’immenses défis. Très souvent en première ligne, les actrices et acteurs du domaine social ont fait directement face aux grandes crises démographiques, économiques et climatiques, et à de nouvelles problématiques touchant à la diversité identitaire, ethnique et sexuelle.
« Le travail social est un témoin privilégié. On voit les conséquences des dysfonctionnements sociaux et l’aggravation des problèmes. Mais le travail social ne veut pas être juste un témoin. Il veut contribuer au changement », souligne Denis Bourque, professeur au Département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais (UQO), l’un des trois commissaires chargés de chapeauter les consultations des États généraux, avec la journaliste indépendante Ariane Émond et la travailleuse sociale émérite Nadine Vollant.
Désignés par l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec (OTSTCFQ), ces trois commissaires indépendants ont reçu pour mandat de recueillir des propositions et d’émettre des recommandations. L’objectif étant de placer le travail social dans les meilleures conditions pour remplir pleinement sa mission dans les années à venir. La tournée de consultations, menée auprès de quelque 500 personnes et organismes, a permis de dresser un cahier de doléances et de dégager quelques priorités.
« J’ai entendu une grande souffrance éthique », confie Ariane Émond, spécialiste en consultation publique. « Les travailleuses et travailleurs sociaux ne sont plus capables de faire le travail pour lequel ils ont été formés. » Un constat plutôt alarmant qui a également été relevé par Denis Bourque. « Il y a une perte de sens et d’efficacité du travail social, qui est soumis à des normes bureaucratiques qui l’empêchent de jouer son rôle. C’est vécu comme une espèce de dissonance par les travailleuses et les travailleurs sociaux, entre les raisons pour lesquelles ils se sont engagés et les contraintes imposées dans la pratique. »
Autre grande frustration, l’approche collective du travail social a été largement délaissée, au fil des années, au profit d’une approche individuelle, par essence plus limitée. « On est trop dans la gestion des symptômes, dans le curatif, par rapport à une mission de travail social qui vise à agir sur les causes du problème », résume Denis Bourque. « Ce qu’on valorise au ministère, c’est l’approche individuelle. Il faut revaloriser la pratique collective. Ça a été martelé par les gens qui sont venus nous voir lors des consultations », confirme Ariane Émond.
Des pistes d’action
Pour renouer avec sa mission première, le travail social de demain doit avoir un rôle à jouer dans l’élaboration des politiques publiques. « Il faut qu’il y ait une capacité d’agir à un niveau systémique sur ce qui génère un grand nombre de détresses et de problèmes sociaux, la crise inflationniste avec la précarisation, la crise du logement et ses conséquences sur l’itinérance, l’augmentation de la violence sous toutes ses formes, ou encore la crise climatique. Si on n’est pas capable d’agir en amont sur ces problèmes, on est dans une voie sans issue », précise M. Bourque.
« Il faut faire en sorte que les travailleuses sociales et les travailleurs sociaux puissent faire oeuvre utile et se sentir moins impuissants face à un monde qui est en grosse transition. On nous l’a dit : on veut être consultés parce qu’on a des choses à dire ! », ajoute Ariane Émond. Cette revalorisation de l’approche collective du travail social implique notamment une augmentation conséquente du nombre de postes en organisation communautaire. « On a actuellement 500 postes à temps complet dans le réseau public, et on préconise de passer à 1000 d’ici cinq ans », indique Denis Bourque.
« On a besoin de reconnecter les différents acteurs dans un esprit de collaboration, afin de pouvoir davantage répondre aux besoins de nos populations vulnérables », témoigne Nadine Vollant, qui possède une expérience de plus de 25 ans dans le domaine de la protection de la jeunesse et qui a participé, avec Denis Bourque et Ariane Émond, à la rédaction du rapport des commissaires en vue du Sommet des États généraux du travail social, organisé les 19 et 20 avril prochain au Collège de Maisonneuve.
« Il ne faut pas voir ce rapport comme une fin en soi, mais comme le début d’une amorce de pistes qui vont pouvoir ressortir du Sommet pour façonner le travail social en fonction de nos réalités d’aujourd’hui. L’idée est de bonifier le travail de consultation », explique Nadine Vollant. « Le Sommet, auquel toute la population a été conviée, doit permettre de transformer les recommandations en pistes d’action, de se donner deux trois priorités », ajoute Ariane Émond. « Il y a vraiment un désir de remonter au front ensemble et de rendre plus audible la voix du travail social. »