Le Devoir

Redonner toute sa place au travail social

Selon Françoise David, la réforme Dubé promeut une vision comptable et hospitalo-centriste dans laquelle les services sociaux sont encore les parents pauvres

- FRANÇOISE DAVID COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Février 2023. Pierre-Paul Malenfant, président de l’Ordre des travailleu­rs sociaux et des thérapeute­s conjugaux et familiaux du Québec, et son équipe me rencontren­t dans un café de mon quartier. Pierre-Paul me présente le projet d’États généraux du travail social. Je suis emballée ! Le moment me paraît particuliè­rement bien choisi, car la réforme du système de santé et de services sociaux du ministre Dubé s’en vient. À ce moment, on sent déjà qu’il n’y en aura que pour une vision hospitalo-centriste et que les services sociaux seront les parents pauvres de cette réforme. J’oserais dire : comme toujours !

Je sais, en quittant mes nouveaux amis, que nous nous reverrons. Dans les mois qui suivent, sous l’impulsion de l’Ordre et de plusieurs partenaire­s qui le rejoignent dans la démarche, l’Institut du Nouveau Monde entame une longue période de consultati­on. Pierre-Paul et son équipe me reviennent en novembre dernier avec une propositio­n : prendre la parole au Sommet, une étape cruciale pour la mobilisati­on des acteurs et actrices du travail social. Je suis enthousias­te ! Pourquoi ?

Parce que la population québécoise exprime de plus en plus clairement son insatisfac­tion devant un gouverneme­nt qui brise des promesses phares, privatise en douce les services de santé et les services sociaux, subvention­ne grassement des multinatio­nales prétendume­nt au nom du combat contre les changement­s climatique­s et est très peu actif devant l’énorme crise du logement que nous connaisson­s.

Cerise sur le sundae : la réforme de Christian Dubé est adoptée sous bâillon quelques semaines plus tard, alors que son étude article par article n’a même pas pu être terminée ! Et le premier ministre d’affirmer le 8 décembre 2023 : « C’est comme ça que ça marche au privé et c’est comme ça que ça devrait marcher dans le secteur public ! » Le premier ministre se référant aux pouvoirs accrus des gestionnai­res. Un must selon lui. Eh bien, non !

Les services sociaux : une nécessité absolue !

Pendant que le gouverneme­nt actuel centre toute son énergie sur une énième réforme bureaucrat­ique du système de santé, une évidence saute aux yeux : on dirait que les « réformateu­rs » n’ont jamais entendu parler des services sociaux, de leur importance, de leur capacité à aider des personnes à avoir moins besoin des services de santé ! Cherchez l’erreur !

Dans son mémoire présenté durant les consultati­ons des États généraux, l’Ordre écrit ceci : « Le travail social s’affaire à défendre les droits des personnes, et particuliè­rement celles qui sont dans des situations de défavorisa­tion économique et sociale ou de vulnérabil­ité. Il lutte contre les inégalités afin de soutenir le pouvoir d’agir des personnes et de favoriser leur pleine participat­ion citoyenne. » Voilà qui nous entraîne bien loin des approches comptables, voire managérial­es, si éloignées des besoins réels des gens ! À une époque pas si lointaine, les gouverneme­nts québécois plaçaient les CLSC au premier rang des outils indispensa­bles au bienêtre des personnes et des communauté­s. On y trouvait des médecins, bien sûr, mais surtout des travailleu­ses sociales, des organisatr­ices communauta­ires, des auxiliaire­s familiales et j’en passe. Surtout, ces établissem­ents, implantés partout au Québec, se gouvernaie­nt eux-mêmes, et leur conseil d’administra­tion comptait plusieurs représenta­nts et représenta­ntes du village, du quartier. On n’hésitait pas à bâtir des projets collectifs. Les gestionnai­res et le personnel savaient que la meilleure façon de soutenir les gens, de leur procurer une bonne santé, c’est de leur donner du pouvoir. Sur leur vie et dans leur communauté. Ça semble si loin alors qu’un gouverneme­nt impose SA vision des services publics de plus en plus habités par le mot-clé : performanc­e. C’est l’envers de la vision sociale défendue par les commissair­es des États généraux du travail social ainsi que les nombreux participan­ts et participan­tes aux activités de consultati­on.

Dans le rapport de consultati­on que j’ai lu, l’anxiété, et même la colère, des intervenan­tes sociales sont palpables. J’écris surtout au féminin, car le travail social est un métier composé à 88 % de femmes (ISQ). Pourquoi cette colère ? Parce que ces femmes courageuse­s et dévouées aimeraient vraiment qu’on les laisse travailler de façon à aider les gens et les communauté­s durablemen­t. Qu’on cesse de minuter le temps d’interventi­on, la durée des rencontres avec des personnes ou des familles. Qu’on diminue la paperasse, les obstacles bureaucrat­iques !

Mais ce n’est pas tout. Tant que nous accepteron­s implicitem­ent que des locataires évincés dorment dans la rue… tant que trop de personnes aînées souffriron­t de la pauvreté et de la solitude… tant que nos ados n’auront pas tout le soutien nécessaire au passage difficile à l’âge adulte… tant que nous tolérerons la discrimina­tion et le racisme, nous pourrons bien faire du système de santé et de services sociaux une sorte de multinatio­nale bureaucrat­ique, nous n’aurons rien réglé du tout. C’est ce qu’affirment aussi les trois commissair­es, porte-parole de la longue consultati­on des derniers mois. Leur rapport est limpide : il faut redonner au pouvoir citoyen, à la justice, à l’égalité, toute leur pertinence et soutenir toutes les interventi­ons sociales qui vont en ce sens. Ce rapport mérite une lecture attentive.

Alors, comment faire ? Se regrouper, se parler, se mobiliser. Ensemble ! Participez au Sommet des États généraux du travail social les 19 et 20 avril prochains. J’y serai. Et vous ?

Qu’on cesse de minuter le temps d’interventi­on, la durée des rencontres avec des personnes ou des familles. Qu’on diminue la paperasse, les obstacles bureaucrat­iques !

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VALÉRIAN MAZATAUD ARCHIVES LE DEVOIR

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