Le Devoir

Des filets sociaux au coeur des villes

Pandémie, crise du logement, désinstitu­tionnalisa­tion, inflation : l’augmentati­on de la vulnérabil­ité est multifacto­rielle et les villes sont aux premières loges pour constater la multiplica­tion des besoins. Des initiative­s s’organisent pour mieux y répon

- CATHERINE COUTURIER COLLABORAT­ION SPÉCIALE

« On ne veut pas transforme­r notre personnel en travailleu­rs sociaux, mais on veut les sensibilis­er, les informer et les aider à faire face aux nouveaux défis qui s’amplifient dans tous les espaces publics. La vulnérabil­ité est de plus en plus évidente », confie Jean-François Fortin, chef de division de la bibliothèq­ue de Drummondvi­lle. Son projet, comme plusieurs autres, met en place une approche plus adaptée et humaine pour répondre aux besoins qui se multiplien­t.

Intervenir là où les gens sont

Ouverte en 2017, la nouvelle bibliothèq­ue de Drummondvi­lle trône au coeur du centre-ville. Seuls lieux publics sans aucune attente envers les citoyens et où le flânage est même encouragé, les bibliothèq­ues publiques jouent un rôle social important. « On pense que les travailleu­rs sociaux et les bibliothèq­ues publiques se connaissen­t peu et gagneraien­t à le faire », croit celui qui est aussi viceprésid­ent de l’Associatio­n des bibliothèq­ues publiques (l’Associatio­n a déposé un mémoire sur le sujet dans le cadre des futurs États généraux du travail social).

En 2018, la bibliothèq­ue de Drummondvi­lle remarquait l’augmentati­on des tensions et des incidents, avec la montée de la fréquentat­ion par les population­s vulnérable­s. Si le premier réflexe fut de se doter d’un règlement de conduite des usagers, « on s’est rendu compte que ça ne réglait rien et que ça excluait ceux qui avaient besoin d’aide », raconte M. Fortin.

C’est alors que s’est mis en place un projet novateur, en collaborat­ion avec le CIUSSS et le milieu communauta­ire. Avec François Lacharité, directeur de l’organisme La Piaule, la bibliothèq­ue a amené un travailleu­r de milieu dans ses murs, sur une base régulière. L’intervenan­t crée un lien de confiance avec les citoyens les plus vulnérable­s ; il sensibilis­e et accompagne également le personnel de la bibliothèq­ue. Cette approche préventive permet de rediriger les personnes vers d’autres ressources et facilite la communicat­ion entre tous. Devant l’améliorati­on du climat et du sentiment de sécurité, le projet pilote a été renouvelé jusqu’en 2025.

Une équipe mobile sur le terrain

À Montréal, un projet pilote a été créé pour répondre aux besoins en évolution. « Au municipal, on est le premier palier. Les gens se tournent vers nous et on sentait qu’on avait besoin de trouver une approche qui sortait de la boîte », relate Josefina Blanco, élue dans Rosemont–La Petite-Patrie et responsabl­e, entre autres, de l’inclusion sociale et de l’itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal. « Et si les gens n’ont pas d’options, ils se tourneront vers le 911 », poursuit-elle.

Ressource complément­aire au filet social en place, l’Équipe mobile de médiation et d’interventi­on sociale (EMMIS) est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et est déployée dans quatre arrondisse­ments. Cinq s’ajouteront dans les prochaines années. « L’EMMIS travaille avec toutes les parties prenantes, autant avec les personnes qui ont des besoins qu’avec les commerces », explique Mme Blanco.

Les brigades ont comme mission de désamorcer les situations de conflits ou dérangeant­es. « Un hôpital peut appeler pour prendre en charge une situation ; l’EMMIS reçoit des appels liés à l’itinérance ou à la violence conjugale », donne comme exemple Mme Blanco. Depuis sa création, l’EMMIS a effectué 28 000 interventi­ons dans l’espace public. « Ça répond à un besoin et ça démontre que c’est important d’agir en amont », affirme l’élue.

Travailler en intersecto­rialité

L’augmentati­on et la diversific­ation des besoins forcent donc à travailler en collaborat­ion. « C’est quelque chose d’assez nouveau par chez nous, se doter d’un processus collectif. Avant, les différents acteurs étaient capables d’agir sur les problèmes de manière isolée », remarque AudreyPier Lavoie, coordonnat­rice de la démarche en développem­ent social dans Maria-Chapdelain­e, au LacSaint-Jean. Une Table intersecto­rielle a ainsi été créée en réponse à l’ampleur et à la complexifi­cation des enjeux sociaux. « Comme le parvis de l’église, c’est un endroit où tisser des liens », explique Mme Lavoie.

Les retombées sont concrètes, après une seule année d’existence. « Le 4 décembre, un refuge pour les personnes en situation d’itinérance a ouvert notamment grâce à la Table. Normalemen­t, c’est le CIUSSS qui aurait mené le projet, mais comme la Table est déjà organisée, on a réuni les acteurs et réagi à l’appel du terrain », souligne Audrey-Pier Lavoie.

Cette mobilisati­on rapide permet de répondre aux besoins émergents du terrain, avec une vision macro. « Les travailleu­rs sociaux sont souvent occupés à éteindre les feux. Ils sont essentiels, mais ça prend également des structures plus larges et du travail en prévention », conclut Mme Lavoie.

« Au municipal, on est le premier palier. Les gens se tournent vers nous et on sentait qu’on avait besoin de trouver une approche qui sortait de la boîte. »

 ?? MATHIEU SPARKS VILLE DE MONTRÉAL ?? Ressource complément­aire au filet social en place, l’Équipe mobile de médiation et d’interventi­on sociale (EMMIS) de la Ville de Montréal est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et est déployée dans quatre arrondisse­ments.
MATHIEU SPARKS VILLE DE MONTRÉAL Ressource complément­aire au filet social en place, l’Équipe mobile de médiation et d’interventi­on sociale (EMMIS) de la Ville de Montréal est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et est déployée dans quatre arrondisse­ments.

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