Des filets sociaux au coeur des villes
Pandémie, crise du logement, désinstitutionnalisation, inflation : l’augmentation de la vulnérabilité est multifactorielle et les villes sont aux premières loges pour constater la multiplication des besoins. Des initiatives s’organisent pour mieux y répon
« On ne veut pas transformer notre personnel en travailleurs sociaux, mais on veut les sensibiliser, les informer et les aider à faire face aux nouveaux défis qui s’amplifient dans tous les espaces publics. La vulnérabilité est de plus en plus évidente », confie Jean-François Fortin, chef de division de la bibliothèque de Drummondville. Son projet, comme plusieurs autres, met en place une approche plus adaptée et humaine pour répondre aux besoins qui se multiplient.
Intervenir là où les gens sont
Ouverte en 2017, la nouvelle bibliothèque de Drummondville trône au coeur du centre-ville. Seuls lieux publics sans aucune attente envers les citoyens et où le flânage est même encouragé, les bibliothèques publiques jouent un rôle social important. « On pense que les travailleurs sociaux et les bibliothèques publiques se connaissent peu et gagneraient à le faire », croit celui qui est aussi viceprésident de l’Association des bibliothèques publiques (l’Association a déposé un mémoire sur le sujet dans le cadre des futurs États généraux du travail social).
En 2018, la bibliothèque de Drummondville remarquait l’augmentation des tensions et des incidents, avec la montée de la fréquentation par les populations vulnérables. Si le premier réflexe fut de se doter d’un règlement de conduite des usagers, « on s’est rendu compte que ça ne réglait rien et que ça excluait ceux qui avaient besoin d’aide », raconte M. Fortin.
C’est alors que s’est mis en place un projet novateur, en collaboration avec le CIUSSS et le milieu communautaire. Avec François Lacharité, directeur de l’organisme La Piaule, la bibliothèque a amené un travailleur de milieu dans ses murs, sur une base régulière. L’intervenant crée un lien de confiance avec les citoyens les plus vulnérables ; il sensibilise et accompagne également le personnel de la bibliothèque. Cette approche préventive permet de rediriger les personnes vers d’autres ressources et facilite la communication entre tous. Devant l’amélioration du climat et du sentiment de sécurité, le projet pilote a été renouvelé jusqu’en 2025.
Une équipe mobile sur le terrain
À Montréal, un projet pilote a été créé pour répondre aux besoins en évolution. « Au municipal, on est le premier palier. Les gens se tournent vers nous et on sentait qu’on avait besoin de trouver une approche qui sortait de la boîte », relate Josefina Blanco, élue dans Rosemont–La Petite-Patrie et responsable, entre autres, de l’inclusion sociale et de l’itinérance au comité exécutif de la Ville de Montréal. « Et si les gens n’ont pas d’options, ils se tourneront vers le 911 », poursuit-elle.
Ressource complémentaire au filet social en place, l’Équipe mobile de médiation et d’intervention sociale (EMMIS) est disponible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et est déployée dans quatre arrondissements. Cinq s’ajouteront dans les prochaines années. « L’EMMIS travaille avec toutes les parties prenantes, autant avec les personnes qui ont des besoins qu’avec les commerces », explique Mme Blanco.
Les brigades ont comme mission de désamorcer les situations de conflits ou dérangeantes. « Un hôpital peut appeler pour prendre en charge une situation ; l’EMMIS reçoit des appels liés à l’itinérance ou à la violence conjugale », donne comme exemple Mme Blanco. Depuis sa création, l’EMMIS a effectué 28 000 interventions dans l’espace public. « Ça répond à un besoin et ça démontre que c’est important d’agir en amont », affirme l’élue.
Travailler en intersectorialité
L’augmentation et la diversification des besoins forcent donc à travailler en collaboration. « C’est quelque chose d’assez nouveau par chez nous, se doter d’un processus collectif. Avant, les différents acteurs étaient capables d’agir sur les problèmes de manière isolée », remarque AudreyPier Lavoie, coordonnatrice de la démarche en développement social dans Maria-Chapdelaine, au LacSaint-Jean. Une Table intersectorielle a ainsi été créée en réponse à l’ampleur et à la complexification des enjeux sociaux. « Comme le parvis de l’église, c’est un endroit où tisser des liens », explique Mme Lavoie.
Les retombées sont concrètes, après une seule année d’existence. « Le 4 décembre, un refuge pour les personnes en situation d’itinérance a ouvert notamment grâce à la Table. Normalement, c’est le CIUSSS qui aurait mené le projet, mais comme la Table est déjà organisée, on a réuni les acteurs et réagi à l’appel du terrain », souligne Audrey-Pier Lavoie.
Cette mobilisation rapide permet de répondre aux besoins émergents du terrain, avec une vision macro. « Les travailleurs sociaux sont souvent occupés à éteindre les feux. Ils sont essentiels, mais ça prend également des structures plus larges et du travail en prévention », conclut Mme Lavoie.
« Au municipal, on est le premier palier. Les gens se tournent vers nous et on sentait qu’on avait besoin de trouver une approche qui sortait de la boîte. »