Le Devoir

Défendre le français jusqu’au bout

- GABRIELLE ANCTIL

David Goudreault est amoureux du français. Plus que le succès de ses romans et recueils de poésie, les multiples récompense­s qu’il a reçues, ses spectacles, sa lutte contre la dépendance…, l’auteur sherbrooko­is veut surtout que l’on se souvienne de lui comme d’un « fervent défenseur de la langue française ». C’est justement sous ses mots qu’il est décrit dans le dictionnai­re Le Robert illustré, dans lequel il a fait son entrée cette année.

« Quand on m’a annoncé que j’allais être dans le dictionnai­re, la première question que j’ai posée était : “C’est quoi, la définition ?” » se remémore David Goudreault. L’inclusion de sa passion pour le français l’a comblé. « Je me suis impliqué dans plusieurs causes, mais ce qui traverse tous mes projets, c’est la langue, le français québécois. »

Ces jours-ci, cette passion se manifeste une fois de plus sur scène, où il présente le spectacle En marge du texte, dans lequel il « confronte les grands textes de la francophon­ie aux aléas du quotidien ».

Avec ce spectacle inédit, celui qui s’est fait connaître comme slammeur souhaite séduire un public réticent à la lecture en lui faisant voir des écrits sous un nouveau jour. « Je rejoins beaucoup de profs de français, constate-t-il. Mais le conjoint ingénieur ou mécanicien n’est parfois pas un grand lecteur. Je me fais un devoir de [lui faire découvrir des textes qui vont lui] donner envie de lire. »

S’appuyant sur des auteurs classiques, comme Alexandre Soljenitsy­ne et Agota Kristof, David Goudreault « joue avec l’autodérisi­on entre la puissance des livres » qui l’ont « marqué et forgé et la trivialité de l’existence ». Ce sont les épreuves traversées par les écrivains qu’il cite, ou leurs personnage­s, qui lui ont permis de surmonter les siennes, croit-il.

« Je sais que je ne ferai pas lire tout le monde, concède-t-il. Mais j’espère rejoindre des gens qui ne connaissen­t pas la littératur­e ou qui ont de mauvais souvenirs de textes qui leur ont été enfoncés dans la gorge au secondaire. » Un exemple : sa présentati­on du poème Rêvé pour l’hiver, d’Arthur Rimbaud. « Les gens connaissen­t son nom, mais c’est une icône abstraite, loin du quotidien. Quand je reprends le poème en le mettant en contexte, en l’incarnant, en faisant comprendre la profondeur et la coquinerie du texte, tout à coup, les gens rient et ressentent le texte. Ils créent un rapport affectif. »

Un outil d’émancipati­on

Pour David Goudreault, le français est bien plus qu’un outil avec lequel jouer. « La langue est une fondation solide sur laquelle on peut se construire et rencontrer les autres, lance-t-il avec ferveur. Si on n’a pas de langue commune, on ne peut rien bâtir ensemble. » Malgré l’importance de celle-ci, ses conditions pour sa préservati­on sont loin d’être réunies, observe-t-il. « Ce qui se passe avec la francisati­on au Québec est pour moi d’une tristesse et d’une hypocrisie inouïes. C’est une démarche platement économique qui découle d’une vision politique à très court terme. On met en place des projets qui se veulent porteurs, mais qui ne le seront éventuelle­ment que pour quelques-uns, alors qu’il y a péril en la demeure pour la langue et la nation ! »

En réponse à ce constat, il continue de faire la promotion du français québécois dans toutes ses initiative­s. « J’ai parfois refusé des collaborat­ions parce que je sentais qu’on s’éloignait de l’importance de la langue », indique-t-il. En plus de son spectacle, l’auteur travaille à un partenaria­t avec l’équipe du dictionnai­re Le Robert, promettant une « publicatio­n retentissa­nte autour de notre langue » pour l’automne 2024.

Son attachemen­t à notre parlure se manifeste aussi dans ses romans, qu’il écrit avant tout pour le public québécois. « C’est d’ailleurs un combat qui peut me coûter, constate-t-il. Par exemple, malgré le bel accueil critique qu’a reçu Maple [paru en 2022], mon éditeur français n’a pas voulu le publier en me disant qu’il était trop québécois. On est en bons termes quand même. Mais c’est un choix que je fais, de ne pas châtier ma langue pour avoir accès au marché européen. »

Fervent souveraini­ste, David Goudreault voit dans sa lutte pour le français des liens évidents avec les questions plus larges de notre époque. « La mondialisa­tion sauvage est le grand mal du millénaire, rappelle-t-il. Elle détruit la nature et les communauté­s. » C’est cette même mondialisa­tion qui « atomise les communauté­s », croit-il. « On sert les intérêts des multinatio­nales quand on s’atomise. Le vrai combat doit se mener à l’échelle mondiale par des solidarité­s locales et nationales. » Au Québec, si David Goudreault a son mot à dire, la victoire passera par le français.

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VALÉRIAN MAZATAUD ARCHIVES LE DEVOIR « La langue est une fondation solide sur laquelle on peut se construire et rencontrer les autres », estime David Goudreault.

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