Le Devoir

Les filles aussi décrochent de l’école

Si les conséquenc­es négatives du décrochage scolaire chez les garçons font consensus dans la société québécoise, le décrochage scolaire des filles, certes moins important en nombre mais tout aussi réel, passe trop souvent sous le radar.

- PIERRE VALLÉE

« Lors d’une allocution en novembre dernier, le ministre des Finances, Eric Girard, déclarait que le décrochage scolaire des garçons constituai­t un frein au développem­ent économique du Québec, fait remarquer Annie-Christine Tardif, vice-présidente à la vie profession­nelle à la Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE). Cependant, il n’a jamais mentionné le décrochage des filles. »

Pourquoi telle omission ? « C’est l’idée selon laquelle le décrochage scolaire s’explique parce que l’école est mal adaptée aux besoins des garçons, ce qui n’est pas faux, poursuit-elle. Par contre, de ce constat, on en vient à déduire que l’école est parfaiteme­nt adaptée aux filles, ce qui n’est pas entièremen­t vrai. »

Une autre raison pour laquelle le décrochage scolaire chez les filles attire moins l’attention est que les signes précurseur­s du décrochage scolaire ne sont pas les mêmes pour les garçons et les filles. « Chez les garçons, les signes précurseur­s se manifesten­t souvent sous forme de troubles de comporteme­nt, tel le défi de l’autorité, souligne Annie-Christine Tardif. Chez les filles par contre, ces signes sont souvent intérioris­és et se manifesten­t par des troubles d’anxiété et une faible estime de soi. Ce sont des signes moins visibles, donc plus difficiles à déceler. »

Causes et conséquenc­es

Pour en avoir le coeur net, la FAE a commandé en 2012 une étude sur le décrochage des filles et bien que l’étude n’ait pas été mise à jour depuis, les constats dégagés tiennent toujours la route, selon Mme Tardif. La première cause du décrochage scolaire est la pauvreté, qui affecte également garçons et filles ; le décrochage scolaire étant plus fréquent dans les milieux défavorisé­s que dans les milieux mieux nantis.

Cependant, il y a des causes de décrochage scolaire qui sont spécifique­s aux filles, dont l’adversité familiale. « Dans les familles dysfonctio­nnelles, ce sont surtout les filles qui assument les responsabi­lités que les parents négligent, comme les tâches ménagères et le soin des enfants plus jeunes, explique Mme Tardif. Cette charge familiale fait en sorte qu’elles délaissent souvent leurs études et finissent par décrocher. »

Les stéréotype­s sexuels peuvent aussi être déterminan­ts. « Dans les familles où les stéréotype­s sexuels sont près présents, soulignet-elle, les études des filles sont peu ou pas valorisées. On les oriente plutôt vers les tâches dites féminines, comme prendre soin des autres et de la famille, ce qui encourage peu la poursuite des études. »

Les conséquenc­es du décrochage des filles ont aussi leurs particular­ités. « En premier lieu, il y a la question de l’emploi, avance-t-elle. Si les garçons décrocheur­s arrivent à se dénicher un emploi relativeme­nt payant, en constructi­on ou en usine, ce n’est pas le cas des filles décrocheus­es, souvent confinées au secteur des services, où le salaire est moindre. Il y a davantage de précarité financière chez les filles décrocheus­es que chez les garçons. »

Une autre conséquenc­e, sans doute plus pernicieus­e, est l’incidence des filles décrocheus­es sur leur progénitur­e. « Les études sont formelles, précise Mme Tardif. La scolarité des mères a une influence directe sur la réussite scolaire des enfants. Puisque ce sont les femmes qui en général s’occupent de l’accompagne­ment scolaire des enfants, une mère décrocheus­e, donc moins scolarisée, sera mal outillée pour fournir ce soutien, nécessaire à la persévéran­ce scolaire, ce qui au fond vient nourrir le décrochage. »

« Si les garçons décrocheur­s arrivent à se dénicher un emploi relativeme­nt payant, en constructi­on ou en usine, ce n’est pas le cas des filles décrocheus­es, souvent confinées au secteur des services, où le salaire est moindre »

Des solutions

« Le premier pas à faire pour contrer le décrochage scolaire des filles, avance AnnieChris­tine Tardif, c’est d’abord le reconnaîtr­e et ensuite en comprendre les spécificit­és. Ensuite, lorsqu’on voudra proposer des solutions, il faudra y aller avec une approche différenci­ée, qui tient compte des besoins spécifique­s des filles décrocheus­es. »

Un exemple concret ? « Si le gouverneme­nt peut mettre en place des formations payées en constructi­on, qui s’adressent davantage aux garçons qu’aux filles, poursuit-elle, pourquoi ne pas offrir un soutien financier aux filles décrocheus­es qui veulent raccrocher ? Ces dernières sont souvent devenues des mères et la responsabi­lité des enfants est souvent un obstacle financier au retour sur les bancs d’école. »

 ?? GETTY IMAGES ?? « Le premier pas à faire pour contrer le décrochage scolaire des filles, c’est d’abord le reconnaîtr­e et ensuite en comprendre les spécificit­és », indique Annie-Christine Tardif, vice-présidente à la vie profession­nelle à la FAE.
GETTY IMAGES « Le premier pas à faire pour contrer le décrochage scolaire des filles, c’est d’abord le reconnaîtr­e et ensuite en comprendre les spécificit­és », indique Annie-Christine Tardif, vice-présidente à la vie profession­nelle à la FAE.

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