« La police veut que ça change »
Des corps policiers ont surtout misé sur la formation, des équipes spécialisées et des mécanismes de référence automatique aux organismes d’aide
Des corps policiers québécois cumulent les initiatives pour mieux répondre au fléau de la violence conjugale. Parmi celles-ci, on retrouve des équipes policières spécialisées, des mécanismes pour diriger les victimes immédiatement vers les services d’aide et des séances de formation sur le contrôle coercitif — qui cherchent tous à faire une différence.
Parmi les témoignages mis de l’avant en 2020 dans le rapport Rebâtir la confiance — sur l’accompagnement des victimes d’agression sexuelle ou de violence conjugale —, on retrouve ceux de femmes qui disaient avoir été mal servies par la police, ou qui ne s’étaient pas senties écoutées lorsqu’elles ont porté plainte, a signalé Annick Brazeau, la présidente du Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale.
« La police veut que ça change », constate-t-elle.
Les policiers jouent un rôle clé, car ils sont souvent les premiers sur place quand une personne est menacée ou violentée, et ils demeurent importants tout au long de son parcours judiciaire, a-t-elle expliqué fin février, à l’occasion d’un séminaire de formation à Gatineau sur le contrôle coercitif, auquel ont d’ailleurs assisté des dizaines de policiers de la région.
De la formation
Des forces policières se dotent de formations plus poussées, comme recommandé par le rapport Rebâtir. C’est le cas du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Cette année, tous les policiers des postes de quartier — ils sont environ 2500 — vont suivre une formation de trois heures et demie en violence conjugale, incluant les patrouilleurs. Les premiers y ont assisté à la fin février.
« Une première », se réjouit Anouk St-Onge, commandante à la section spécialisée en violence conjugale au SPVM, qui est à l’origine du projet. Des séances d’information avaient été offertes auparavant, mais rien d’aussi structuré, précise-t-elle.
La formation portera notamment sur le contrôle coercitif, sur la violence post-séparation, sur le non-respect des conditions (« bris de conditions ») et sur les risques pour les enfants exposés à la violence conjugale, détaille la commandante. Elle sera offerte par des responsables du Regroupement des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale.
« Ça fait toute la différence, juget-elle. Mieux les policiers comprennent, mieux ils pourront accompagner les victimes et les référer vers les meilleures ressources d’aide », et placer un filet de sécurité autour d’elles.
La commandante St-Onge explique que les policiers sont formés pour intervenir quand des infractions criminelles sont commises. Sauf que lorsqu’une personne est victime de contrôle coercitif, il n’y a pas toujours infraction criminelle. « Mais ça ne veut pas dire que la victime n’a pas vécu de la violence et qu’il n’y a pas de risque », note-t-elle, car « le contrôle coercitif est souvent là avant l’homicide conjugal ».
Bref, si les policiers sont formés pour repérer les signes du contrôle coercitif, ils vont les noter dans leurs rapports. Avec ces informations, les procureurs de la Couronne pourront, par exemple, s’opposer à la remise en liberté d’accusés potentiellement dangereux.
Le SPVM indique aussi faire des suivis auprès des victimes de violence conjugale : une fois par mois, pour au moins six mois, précise la commandante St-Onge.
Des équipes spécialisées
Plusieurs forces policières au Québec ont créé des équipes d’intervention spécialisées en violence conjugale.
L’une d’entre elles a été mise sur pied au Service de police de la Ville de Gatineau, forte de quatre enquêteurs spécialisés, mandatés pour accompagner les victimes.
Ce ne sont pas des patrouilleurs, mais ils peuvent être appelés à aller sur la route pour rencontrer les victimes, où elles se trouvent, y compris dans les maisons d’hébergement pour victimes de violence. « Pour que le processus judiciaire soit le moins difficile possible », a expliqué Nicolas Côté, coordonnateur de projets en violence conjugale à la police de Gatineau, rencontré par Le Devoir fin février lors d’un séminaire de travail pour ceux qui travaillent à protéger les victimes de violence dans la région de l’Outaouais.
Ces enquêteurs reçoivent les dossiers « plus complexes », signale M. Côté, par exemple, ceux pour lesquels la violence s’est poursuivie sur de nombreuses années. Vu leur expertise, les enquêteurs sont souvent appelés à obtenir les dépositions des suspects, pour obtenir une « preuve solide ».
C’est bénéfique d’avoir des enquêteurs spécialisés en violence conjugale, estime M. Côté. « Ils ont une sensibilité plus accrue, une compréhension de la dynamique », ainsi que des liens solides avec les organismes de soutien. « Le contact avec la police, ça reste épeurant et stressant. Il faut développer un lien de confiance. »
En 2022 uniquement, 1209 dossiers de violence conjugale avec des infractions criminelles ont été traités par les policiers, déplore-t-il. « Et c’est en augmentation depuis des années. »
Référence automatique
La Sûreté du Québec (SQ) a récemment signé — en novembre dernier — ce qu’elle appelle une « lettre de référencement » pour tout le Québec. Concrètement, cela signifie que la SQ a mis en place un processus pour diriger immédiatement — au moment même de l’intervention policière sur les lieux — la personne victime de violence conjugale vers une maison d’hébergement, pour qu’elle soit en sûreté ou encore pour s’assurer qu’elle reçoive de l’aide sans tarder.
Le but est que « la personne soit aidée le plus rapidement possible », a déclaré Karine Savignac, coordonnatrice régionale à la SQ, et membre de l’équipe Violence partenaire intimes — district Ouest.
« Cela vient mettre la main de la personne victime dans la main de l’intervenante », illustre-t-elle.
Les policiers le faisaient déjà, mais l’entente rend la pratique systématique sur le territoire de la SQ, où un « pairage » s’effectue entre les maisons d’hébergement et les postes de police. « Pour entourer la victime, pour faire un petit plus, parce que souvent, elles tombent dans l’ambivalence. »
Parmi d’autres initiatives, la SQ a une équipe de coordination pour la violence entre partenaires intimes, qui agit en unité de soutien aux patrouilleurs. La création de cette équipe découle des recommandations formulées dans le rapport Rebâtir.