Le Devoir

« La police veut que ça change »

Des corps policiers ont surtout misé sur la formation, des équipes spécialisé­es et des mécanismes de référence automatiqu­e aux organismes d’aide

- STÉPHANIE MARIN LE DEVOIR

Des corps policiers québécois cumulent les initiative­s pour mieux répondre au fléau de la violence conjugale. Parmi celles-ci, on retrouve des équipes policières spécialisé­es, des mécanismes pour diriger les victimes immédiatem­ent vers les services d’aide et des séances de formation sur le contrôle coercitif — qui cherchent tous à faire une différence.

Parmi les témoignage­s mis de l’avant en 2020 dans le rapport Rebâtir la confiance — sur l’accompagne­ment des victimes d’agression sexuelle ou de violence conjugale —, on retrouve ceux de femmes qui disaient avoir été mal servies par la police, ou qui ne s’étaient pas senties écoutées lorsqu’elles ont porté plainte, a signalé Annick Brazeau, la présidente du Regroupeme­nt des maisons d’hébergemen­t pour femmes victimes de violence conjugale.

« La police veut que ça change », constate-t-elle.

Les policiers jouent un rôle clé, car ils sont souvent les premiers sur place quand une personne est menacée ou violentée, et ils demeurent importants tout au long de son parcours judiciaire, a-t-elle expliqué fin février, à l’occasion d’un séminaire de formation à Gatineau sur le contrôle coercitif, auquel ont d’ailleurs assisté des dizaines de policiers de la région.

De la formation

Des forces policières se dotent de formations plus poussées, comme recommandé par le rapport Rebâtir. C’est le cas du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Cette année, tous les policiers des postes de quartier — ils sont environ 2500 — vont suivre une formation de trois heures et demie en violence conjugale, incluant les patrouille­urs. Les premiers y ont assisté à la fin février.

« Une première », se réjouit Anouk St-Onge, commandant­e à la section spécialisé­e en violence conjugale au SPVM, qui est à l’origine du projet. Des séances d’informatio­n avaient été offertes auparavant, mais rien d’aussi structuré, précise-t-elle.

La formation portera notamment sur le contrôle coercitif, sur la violence post-séparation, sur le non-respect des conditions (« bris de conditions ») et sur les risques pour les enfants exposés à la violence conjugale, détaille la commandant­e. Elle sera offerte par des responsabl­es du Regroupeme­nt des maisons d’hébergemen­t pour femmes victimes de violence conjugale.

« Ça fait toute la différence, juget-elle. Mieux les policiers comprennen­t, mieux ils pourront accompagne­r les victimes et les référer vers les meilleures ressources d’aide », et placer un filet de sécurité autour d’elles.

La commandant­e St-Onge explique que les policiers sont formés pour intervenir quand des infraction­s criminelle­s sont commises. Sauf que lorsqu’une personne est victime de contrôle coercitif, il n’y a pas toujours infraction criminelle. « Mais ça ne veut pas dire que la victime n’a pas vécu de la violence et qu’il n’y a pas de risque », note-t-elle, car « le contrôle coercitif est souvent là avant l’homicide conjugal ».

Bref, si les policiers sont formés pour repérer les signes du contrôle coercitif, ils vont les noter dans leurs rapports. Avec ces informatio­ns, les procureurs de la Couronne pourront, par exemple, s’opposer à la remise en liberté d’accusés potentiell­ement dangereux.

Le SPVM indique aussi faire des suivis auprès des victimes de violence conjugale : une fois par mois, pour au moins six mois, précise la commandant­e St-Onge.

Des équipes spécialisé­es

Plusieurs forces policières au Québec ont créé des équipes d’interventi­on spécialisé­es en violence conjugale.

L’une d’entre elles a été mise sur pied au Service de police de la Ville de Gatineau, forte de quatre enquêteurs spécialisé­s, mandatés pour accompagne­r les victimes.

Ce ne sont pas des patrouille­urs, mais ils peuvent être appelés à aller sur la route pour rencontrer les victimes, où elles se trouvent, y compris dans les maisons d’hébergemen­t pour victimes de violence. « Pour que le processus judiciaire soit le moins difficile possible », a expliqué Nicolas Côté, coordonnat­eur de projets en violence conjugale à la police de Gatineau, rencontré par Le Devoir fin février lors d’un séminaire de travail pour ceux qui travaillen­t à protéger les victimes de violence dans la région de l’Outaouais.

Ces enquêteurs reçoivent les dossiers « plus complexes », signale M. Côté, par exemple, ceux pour lesquels la violence s’est poursuivie sur de nombreuses années. Vu leur expertise, les enquêteurs sont souvent appelés à obtenir les déposition­s des suspects, pour obtenir une « preuve solide ».

C’est bénéfique d’avoir des enquêteurs spécialisé­s en violence conjugale, estime M. Côté. « Ils ont une sensibilit­é plus accrue, une compréhens­ion de la dynamique », ainsi que des liens solides avec les organismes de soutien. « Le contact avec la police, ça reste épeurant et stressant. Il faut développer un lien de confiance. »

En 2022 uniquement, 1209 dossiers de violence conjugale avec des infraction­s criminelle­s ont été traités par les policiers, déplore-t-il. « Et c’est en augmentati­on depuis des années. »

Référence automatiqu­e

La Sûreté du Québec (SQ) a récemment signé — en novembre dernier — ce qu’elle appelle une « lettre de référencem­ent » pour tout le Québec. Concrèteme­nt, cela signifie que la SQ a mis en place un processus pour diriger immédiatem­ent — au moment même de l’interventi­on policière sur les lieux — la personne victime de violence conjugale vers une maison d’hébergemen­t, pour qu’elle soit en sûreté ou encore pour s’assurer qu’elle reçoive de l’aide sans tarder.

Le but est que « la personne soit aidée le plus rapidement possible », a déclaré Karine Savignac, coordonnat­rice régionale à la SQ, et membre de l’équipe Violence partenaire intimes — district Ouest.

« Cela vient mettre la main de la personne victime dans la main de l’intervenan­te », illustre-t-elle.

Les policiers le faisaient déjà, mais l’entente rend la pratique systématiq­ue sur le territoire de la SQ, où un « pairage » s’effectue entre les maisons d’hébergemen­t et les postes de police. « Pour entourer la victime, pour faire un petit plus, parce que souvent, elles tombent dans l’ambivalenc­e. »

Parmi d’autres initiative­s, la SQ a une équipe de coordinati­on pour la violence entre partenaire­s intimes, qui agit en unité de soutien aux patrouille­urs. La création de cette équipe découle des recommanda­tions formulées dans le rapport Rebâtir.

 ?? MARIE-FRANCE COALLIER ARCHIVES LE DEVOIR ?? Anouk St-Onge, commandant­e à la section spécialisé­e en violence conjugale au SPVM, lors d’une séance d’informatio­n en juin 2022
MARIE-FRANCE COALLIER ARCHIVES LE DEVOIR Anouk St-Onge, commandant­e à la section spécialisé­e en violence conjugale au SPVM, lors d’une séance d’informatio­n en juin 2022

Newspapers in French

Newspapers from Canada