Le Devoir

Le ministre demeure responsabl­e du respect du droit à la santé

Qu’adviendra-t-il, sous la gouverne de Santé Québec, des services déjà mal-aimés du réseau public ?

- Lucie Lamarche et Nicole Filion Les autrices signent ce taxte au nom du comite Droit a la sante de la Ligue des droits et libertés (LDL). Les deux sont membres de la LDL.

Il est convenu que les déterminan­ts sociaux ou les facteurs socio-économique­s ont des répercussi­ons sur la santé des individus et des communauté­s. C’est pourquoi la réalisatio­n du droit à la santé ne saurait se limiter à l’accès à des soins de santé offerts par le médecin ou en contexte hospitalie­r. Dans cette perspectiv­e, il faut accorder, au sein de notre réseau de la santé, un rôle d’autant plus important aux services sociaux, à la santé publique et aux services en santé mentale, notamment.

Le droit à la santé implique également des interventi­ons de l’État en matière de logement, de travail, d’environnem­ent sain, d’éducation, etc. Cela, en conformité avec l’approche de l’interdépen­dance des droits, préconisée sur le plan internatio­nal par l’Organisati­on mondiale de la Santé et le Comité des droits économique­s, sociaux et culturels de l’ONU, et à laquelle souscrit la Ligue des droits et libertés (LDL). À ce propos, on trouvera sur le site Web de la LDL, une définition du droit à la santé, qui souligne l’importance de la participat­ion de la population à la définition des stratégies de santé et de services sociaux.

L’État est responsabl­e de la protection et de la réalisatio­n de tous les droits humains, dont le droit à la santé. Cela ne signifie pas qu’il est le seul à offrir les services nécessaire­s à la réalisatio­n de ce droit, mais plutôt qu’il est responsabl­e de cette réalisatio­n tout autant que des violations du droit à la santé. La récente adoption de la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace — le fameux PL 15 — soulève à cet égard des questions.

D’une part, elle confie à la nouvelle agence Santé Québec, une société d’État similaire à Loto-Québec ou à la Société des alcools du Québec, la responsabi­lité des opérations du réseau de la santé, tout en confiant au ministre de la Santé celle des orientatio­ns et des politiques. D’autre part, elle favorise l’accroissem­ent du nombre d’acteurs privés engagés dans la livraison des soins et des services de santé, lesquels ne sont pas assujettis aux exigences des droits humains s’ils ne sont pas des établissem­ents au sens de la Loi. On a pu constater récemment, à titre d’exemple, que le ministre de la Santé ne savait pas combien d’heures-patients un groupe de médecine familiale leur consacrait, ce à quoi il dit tenter de remédier. Il n’est donc pas si simple de garder un oeil sur le privé.

La question se pose donc de savoir comment le gouverneme­nt répondra dorénavant de sa responsabi­lité au regard du droit à la santé étant donné la nouvelle distinctio­n entre les orientatio­ns et les opérations en matière de soins de santé. Elle se pose d’autant plus que Santé Québec évoluera dans un environnem­ent managérial, à la recherche d’une efficacité à tous crins, marqué par les chiffres, les cibles et la mesure. De plus, cet environnem­ent se limitera largement à la livraison des services curatifs en matière de santé. Qu’adviendra-t-il, sous la gouverne de Santé Québec, des services déjà malaimés du réseau de la santé, comme la santé publique, la santé mentale et les services sociaux ?

Le parlementa­risme québécois a démontré l’efficacité de mécanismes faisant en sorte que des acteurs publics rendent des comptes annuelleme­nt directemen­t devant l’Assemblée nationale. C’est le cas du Protecteur du citoyen et de la Commission des droits humains et des droits de la jeunesse.

De tels mécanismes permettent aux parlementa­ires de mettre en évidence des dysfonctio­nnements à la source de la violation de plusieurs droits humains. Or, Santé Québec, à titre de société d’État et d’agent opérateur du système de santé, ne sera pas soumise à un tel exercice démocratiq­ue. Néanmoins, elle servira d’écran au ministre de la Santé, qui sera bien tenté d’esquiver sa responsabi­lité envers le droit à la santé.

Le Québec a donc besoin, dans ce nouveau contexte, d’un mécanisme permettant d’évaluer dans toutes ses dimensions la mise en oeuvre du droit à la santé. Pourquoi ne pas confier cette tâche à l’Assemblée nationale, en prévoyant également une voie de participat­ion ouverte à la population ? D’autant plus que cette propositio­n a le mérite de promouvoir la dimension participat­ive de la surveillan­ce et du déploiemen­t des droits humains.

Certes, la Loi est truffée de divers mécanismes de plaintes ou autres destinés au contrôle des ruptures de service, des erreurs et des fautes diverses enregistré­es dans le réseau. Cela toutefois ne peut se substituer au besoin d’évaluer globalemen­t la réalisatio­n du droit à la santé au Québec. De surcroît, l’accroissem­ent du nombre d’acteurs privés hors réseau, liés à Santé Québec par contrat, crée des entités qui échapperon­t à ces mécanismes de contrôle administra­tifs.

Les droits humains, dont le droit à la santé, imposent des obligation­s à l’État et donc aux ministres responsabl­es de différents dossiers, dont le ministre de la Santé. Cela implique un engagement ministérie­l explicite aux fins de son respect. N’en déplaise au ministre et à son gouverneme­nt, leur responsabi­lité demeure entière quant à la réalisatio­n du droit à la santé.

Le parlementa­risme québécois a démontré l’efficacité de mécanismes faisant en sorte que des acteurs publics rendent des comptes annuelleme­nt directemen­t devant l’Assemblée nationale

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