Le Devoir

Ce vertige que les mots ne peuvent transmettr­e

Je peux marcher tranquille dans un désert de réel si tu continues de faire tomber la pluie sur les mots cachés de notre amour

- Maxime Catellier L’auteur est écrivain et professeur. Cette lettre fait partie d’un récit intitulé Golden Square Mile (L’Oie de Cravan, 2015).

Dans ses chroniques, Nathalie Plaat en appelle à vos récits. En février, elle vous invitait à lui raconter vos amours et vos ruptures. La rubrique « Des nouvelles de vous » donne à lire des extraits de vos réponses.

Ma loup, je n’ai jamais cru au destin, encore moins à l’âme soeur, jusqu’à ce que je rencontre la lueur de tes yeux dans la noirceur d’une nuit d’août, dans ce lit constammen­t défait qui fut le mien cette année-là. Au matin, je suis allé faire sécher ta robe à la buanderie du coin. Ta robe pleine de toute la pluie de la nuit d’avant, cette robe qui sera toujours ma préférée de toutes les robes du monde.

En me levant, j’ai fait jouer ce disque qui avait bu ma peine des derniers mois, la chanson de Timber Timbre qui l’ouvre avait fait un trou dans mon coeur, elle disait : « Oh Lord I must have heard you knock me out of bed / As the flames licked my head » et ces mots qui avaient revêtu un sens univoque dans ma peine avaient changé de sens, ces flammes étaient devenues des salves d’amour contre la mort de mes rêves tombés en bas du lit avec toutes les couverture­s dans leur chute, je m’étais enfin réveillé d’un long cauchemar, aussi long que peut l’être le mois de février quand on regarde tous les courants d’air entrer chez soi par la fente de la porte, impuissant, sauvage, triste.

Tu avais pris la chanson dans ta bouche et tu l’avais recrachée comme une écale de pistache sur le trottoir, bon enfant, pendant que ta robe séchait et que tu mordais dans une tranche de melon.

Qui sait si nous ne revivrons pas un jour cette nuit qui s’étend depuis lors jusqu’à nous, que la Terre ne changera pas de bord pour donner une swing à la valse de nos yeux qui se perdent dans l’écrin de l’autre comme un coquillage dans la mer. Même si les disputes nous achalent avec leur lot d’inquiétude­s, que les absences paraissent moins longues, que les baisers s’espacent, je sais que nous aurons assez peur du quotidien pour retourner dans les bras de cette nuit où nous étions comme le cri des oiseaux fous. Comme ce nid d’hirondelle­s perdu dans la friche d’une maison encore à faire, nous retrouvero­ns la trace du chemin à tire-d’aile, brindille à brindille, pour faire et défaire le lit sans jamais se perdre.

Et pour que cette nuit demeure à jamais l’ancre que nous levons à chaque fois que j’entre en toi, chaque fois que je t’aime, il faut que nous soyons deux à la tirer du fond des eaux, il faut que nous habitions la même mer impossible à épuiser. Comme ce vertige que j’ai déjà eu en regardant le ciel, il faut que je t’aime en sachant que je ne pourrai jamais venir à bout des étoiles. Tu me donnes ce vertige que je n’écrirai jamais, ce vertige que les mots ne peuvent transmettr­e. À chaque fois que je ne t’écrirai pas, relis cette lettre. Je t’aime tellement que je ne t’en écrirai pas d’autre. Je m’en tiendrai à elle comme la marée qui monte et brise ses sursauts sur la verrière accumulée des vents, au chalet des Trois-Pistoles où mes souvenirs traînent sur la grève comme autant de morceaux de verre adoucis par les vagues.

Je ne sais pas si tu dors, toi que le sommeil a tant de peine à rejoindre depuis quelque temps. J’essaie de souffler sur tes rêves avec mon haleine de rhum, je te réveille, n’est-ce pas ? Ne te réveille pas. La porte est ouverte, le chat ne gratte plus et les lumières sont éteintes. Le ronron de la du poêle a cessé d’aspirer mes dernières fumées. La bouteille de rhum est vide. Demain, je me lève à l’aube pour aller donner mes cours à une jeunesse qui n’est plus sûre de rien. Elle doute d’elle-même autant sinon plus que mes histoires de grands livres écrits par des morts. Elle a raison de douter, avant que ne se confirment ses plus folles déceptions.

Et même s’ils se lèvent tous d’un bond et quittent ma classe, même si les écoles ferment leurs portes par manque d’insoucianc­e, je n’ai pas peur de l’avenir. Ton coeur doux comme la peau bat à la surface de mes craintes, je peux marcher tranquille dans un désert de réel si tu continues de faire tomber la pluie sur les mots cachés de notre histoire d’amour. Le chapitre est ouvert, personne ne peut en prédire la fin. Mais nous savons que le livre est une porte entrouvert­e sur un bain chaud dans un hiver de neige.

Je t’écris pour te dire que je veille à côté de ton corps les moindres rayons de lune qui pourraient le réveiller. Je t’écris pour que tu ne craignes plus jamais de ne pas dormir. Je t’écris pour que tu rêves à la vie qui nous attend. Je t’écris pour savoir si tu veux bien de moi pour l’éternité, si tu veux que je vieillisse en t’aimant un peu plus chaque jour. J’ai peur que tu oublies que de ma vie, tu es la certitude la plus troublante, et que tu me permets de voir plus loin que le souper du soir, que le matin suivant, que la prochaine fois que nous ferons l’amour. Je t’écris pour te dire que tu fais de moi une meilleure personne, et que tous les mots du monde ne comptent pour rien s’ils ne disent pas cette vérité toute simple.

Je t’écris pour te dire que je t’aime.

Je t’écris pour te dire que je veille à côté de ton corps les moindres rayons de lune qui pourraient le réveiller

 ?? CÉDRIC GAGNON LE DEVOIR ??
CÉDRIC GAGNON LE DEVOIR

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