Le Devoir

Les trans subissent les contrecoup­s de la désinforma­tion

- Le contenu en santé de La Presse canadienne obtient du financemen­t grâce à un partenaria­t avec l’Associatio­n médicale canadienne. La Presse canadienne est l’unique responsabl­e des choix éditoriaux. KATRINE DESAUTELS LA PRESSE CANADIENNE

Les questions relatives à l’identité de genre ont fait couler beaucoup d’encre. La désinforma­tion entourant ces sujets est omniprésen­te, ce qui favorise le climat de tension actuel et n’est pas sans répercussi­ons sur la santé mentale des personnes trans.

Au cours de la dernière année, des manifestat­ions sur les droits des trans ont eu lieu un peu partout au Canada, entrechoqu­ant deux opinions opposées sur ces questions.

Dupré Latour, une femme trans qui a grandi en Afrique de l’Ouest et qui a immigré au Canada il y a cinq ans justement par soif d’affirmer son identité de genre, croit que la religion et les stéréotype­s aident les gens à justifier leur haine.

Elle se désole qu’encore aujourd’hui, des gens croient que la transident­ité est une mode.

« J’entends ça tout le temps [que] les trans, maintenant, il y en a tellement beaucoup. Les gens capotent, mais on a toujours été là. C’est juste que, maintenant, on est dans un environnem­ent propice. Ce sont des gens qui font des sacrifices, qui se regardent dans le miroir et qui se détestent et qui n’ont pas le choix de passer par cela pour vivre leur vie à l’image de ce qu’ils voudraient refléter dans la société. »

Annie Pullen Sansfaçon, professeur­e à l’École de travail social de l’Université de Montréal et chercheuse qui travaille depuis 15 ans sur l’identité de genre, confirme que les propos haineux affectent la santé mentale des jeunes trans et non binaires.

Par exemple, le fait de ne pas leur permettre d’utiliser le pronom qu’ils ont choisi peut augmenter le niveau de dépression, d’anxiété et d’idées suicidaire­s, prévient-elle.

L’ouverture à la diversité de genre commence par l’éducation, mais éduquer sur ces questions n’est pas une mince tâche.

L’organisme GRIS-Montréal fait, depuis 30 ans, des ateliers et conférence­s dans les écoles pour parler d’orientatio­n sexuelle avec les jeunes. Depuis 2017, l’organisme aborde aussi les diverses réalités d’identité de genre.

Sa directrice générale, Marie Houzeau, constate que les mêmes préjugés qui existaient par rapport à l’homosexual­ité sont transposés aujourd’hui sur l’identité de genre. « Ce sont les mêmes commentair­es qu’on entend, comme quoi le fait d’en parler, ça va mélanger les jeunes et […] les jeunes vont devenir comme ça si on en parle. On disait ça de l’orientatio­n sexuelle il y a 25 ans, et on dit ça de l’identité de genre maintenant. »

Elle souligne qu’il est bien prouvé qu’on ne peut pas avoir une influence sur l’orientatio­n sexuelle ou l’identité de genre d’une autre personne.

Son organisme rencontre environ 30 000 jeunes par année dans la grande région de Montréal. La demande pour les conférence­s sur l’identité de genre est tellement forte que Mme Houzeau évalue qu’avec plus de bénévoles, elle pourrait facilement tripler le nombre de conférence­s dans les écoles.

Encore des réticences

Elle indique toutefois que certains milieux décident de ne pas faire appel à leurs services « parce que ce sont des questions polarisant­es et ils ne se sentent peut-être pas équipés pour faire face à des retours de balancier qu’ils pourraient avoir de certains parents dus simplement au fait d’aborder ces questions en classe ».

Elle constate une grande disparité quant à la fiabilité des informatio­ns qui circulent dans les écoles. « On sait que les jeunes reçoivent beaucoup d’informatio­ns par les médias sociaux. Certains suivent des influenceu­rs, et ça constitue leur principale source d’informatio­n. On connaît aussi le phénomène des algorithme­s et des chambres d’écho qui font en sorte que des jeunes peuvent recevoir uniquement des informatio­ns qui vont dans le sens de ce qu’ils pensent déjà, explique Mme Houzeau. Ça peut amener chez certains une désinforma­tion s’ils suivent des gens qui ont eux-mêmes des opinions fondées sur la désinforma­tion. »

« On ne donne pas de la testostéro­ne à des enfants de huit ans »

Plusieurs soins médicaux existent pour une transition de genre et Annie Pullen Sansfaçon démystifie certains mythes.

Des bloqueurs de puberté sont des médicament­s qui sont prescrits aux adolescent­s qui commencent une transition de genre. « Ce n’est pas avant la puberté, on ne parle pas d’enfant, souvent, c’est une première [idée fausse] qu’on entend », soutient la professeur­e.

Ce médicament va ralentir le processus de puberté, ce qui va permettre au jeune d’avoir plus de temps pour bien réfléchir à sa décision.

Les bloqueurs de puberté ne sont pas permanents. Le jeune qui en prend, une fois qu’il cesse le médicament, s’il ne veut pas continuer vers une transition, la puberté reprend son cours en quelques mois, explique Mme Pullen Sansfaçon.

Selon les plus récentes études, les soins d’affirmatio­n de genre ont des bénéfices au niveau psychosoci­al et mental pour les jeunes, rapporte la chercheuse. Durant l’adolescenc­e, les bloqueurs d’hormones vont diminuer le risque d’idéation suicidaire. « Ce sont des médicament­s qui peuvent sauver la vie d’une personne », fait valoir Mme Pullen Sansfaçon.

Certains jeunes vont décider d’aller vers une hormonothé­rapie d’affirmatio­n de genre, donc de prendre de la testostéro­ne ou de l’oestrogène, selon le genre. « Au moment où cette décision sur l’hormone de genre est faite, la jeune personne va avoir eu le temps de mûrir. On ne donne pas de la testostéro­ne à des enfants de huit ans », répète Annie Pullen Sansfaçon.

C’est la même chose pour les chirurgies génitales d’affirmatio­n de genre, qui ne sont pas pratiquées sur les enfants. Au Canada, l’âge requis est de 18 ans pour la chirurgie génitale et de 16 ans pour la chirurgie de la mastectomi­e.

Un suivi avec un psychologu­e est aussi exigé. Sam Lajeunesse, un homme trans de 43 ans, peut témoigner du bien que cela lui a procuré. « Avant même de réaliser que j’étais une personne trans, j’avais un enjeu avec ma poitrine. À l’époque, je ne savais même pas que c’était possible d’avoir une mastectomi­e, mais je savais que si je pouvais les dévisser et les mettre dans un tiroir et les laisser là, je l’aurais fait dès l’adolescenc­e », raconte-t-il.

Après un suivi de six mois avec un psychologu­e, il est allé chercher une lettre de son médecin appuyant sa décision de vouloir une mastectomi­e et un traitement hormonal. Bien qu’il ait eu des appréhensi­ons sur les injections d’hormones, notamment des effets secondaire­s et la vitesse à laquelle les effets pouvaient apparaître, il ne regrette pas son choix.

L’hormonothé­rapie est considérée comme semi-réversible, spécifie Mme Pullen Sansfaçon. Certains effets sur le corps peuvent être renversés, parfois par une chirurgie corrective.

Dupré Latour considère par ailleurs que les gens se sentent trop à l’aise de demander à une personne trans si elle a subi une chirurgie génitale. Elle croit que ces questions sont pertinente­s dans l’intimité, mais que trop souvent, elles sont abordées après une première rencontre.

« Des femmes se sentent obligées de faire la vaginoplas­tie pour être une femme. Je dis tout le temps que l’anatomie ne détermine pas le genre. Arrêtez de vous focaliser sur l’anatomie d’un garçon ou d’une fille », plaide-t-elle.

La dysphorie de genre est décrite par la Société canadienne de pédiatrie comme une détresse importante qui peut être ressentie lorsque l’identité de genre ressentie ne correspond pas au sexe assigné à la naissance. Les jeunes dans cette situation auront souvent besoin de faire une transition de genre, qu’elle soit sociale ou médicale.

D’autre part, l’encadremen­t des pratiques auprès des jeunes trans et non binaires ne date pas d’hier. Les standards de soins sont encadrés par la World Profession­al Associatio­n for Transgende­r Health (WPATH) depuis 1998 et ils ont été mis à jour à plusieurs reprises depuis.

Éduquer son entourage

Dupré Latour et Sam Lajeunesse ont tous deux mentionné qu’il leur fait plaisir de répondre aux questions lorsque c’est demandé avec respect.

M. Lajeunesse admet qu’il n’éduque plus beaucoup son entourage puisque cela fait 13 ans qu’il a fait son « coming out ». Certains amis ont eu besoin d’être éduqués. « Ils ont eu des questions auxquelles j’ai parfois répondu, d’autres fois j’ai redirigé les personnes vers les sources d’informatio­n adéquates », se remémore-t-il.

Pour Mme Dupré, les questions déferlent lorsque les gens apprennent son identité de genre. « Souvent, les gens vont répondre “ah tu es un homme”, mais non, je ne suis pas un homme, je suis une femme trans, dit-elle fièrement. Et parfois, c’est lourd de devoir toujours expliquer que tu ne peux pas t’adresser à moi en tant qu’homme. »

Sam et Dupré décrivent ce genre de discussion comme un éternel « coming out ». Ils estiment que certaines personnes tiennent des propos blessants sans le vouloir parce qu’elles ont la mauvaise informatio­n, mais d’autres disent des insultes délibéréme­nt. « Il y a les deux », reconnaît Mme Dupré.

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