Roulez vert, roulez chinois
En coupant les vivres d’ici 2027 à son programme Roulez vert, Québec cessera d’encourager la vente des véhicules Tesla, d’Elon Musk, et favorisera l’arrivée de constructeurs chinois, comme BYD, détenu en bonne partie par la firme Berkshire Hathaway de Warren Buffett.
Ironiquement, dans les deux cas, les opposants à l’électrification du transport pourront répéter la même chose : avec ou sans aide, les gouvernements encouragent la vente de véhicules chinois.
Les États-Unis ont évité cet écueil en omettant de leurs propres incitatifs à l’achat d’un véhicule électrique les modèles produits en Chine. Ottawa est critiqué depuis quelques mois étant donné que son aide à l’achat, qui peut atteindre 5000 $, n’en fait pas autant.
Le Québec ne fait pas la distinction non plus.
Le problème, chez nous, c’est Tesla. En ce moment, un véhicule léger électrique sur trois vendu au Québec est un Tesla. Ses Model 3 et Model Y sont de loin les plus populaires. Ils sont admissibles à l’aide à l’achat de Québec et d’Ottawa. Depuis décembre, selon Reuters, Tesla vend chez nous des véhicules assemblés à son usine de Shanghai.
L’industrie canadienne fulmine. L’Automotive Parts Manufacturers’ Association (APMA) qui n’existe qu’en anglais, désolé) déplore que l’aide gouvernementale favorise une entreprise qui n’a aucune installation au Canada autre que des points de service. Le Québec et le Canada aident la Chine à renforcer son industrie du transport électrique, dit l’APMA, et désavantagent les constructeurs qui fabriquent, ou au moins qui s’approvisionnent, au Canada.
Victimes de leur popularité
Dans les coulisses de l’industrie québécoise, on pensait que le programme Roulez vert ne serait pas éliminé avant 2029. Les spécialistes calculaient que le prix des véhicules électriques neufs allait baisser pour équivaloir à la fin de la décennie à celui de véhicules à essence comparables. À prix égal, l’incitatif financier n’est plus nécessaire : les véhicules électriques coûtent déjà beaucoup moins cher à conduire et à entretenir.
Tout cela fait consensus. À tel point que les ventes de véhicules électriques au Québec dépassent actuellement les prévisions les plus optimistes du gouvernement caquiste. Elles ont représenté 21,4 % des ventes de véhicules neufs durant les trois derniers mois de 2023, selon Statistique Canada. Québec espérait atteindre cette proportion en 2025.
Cela explique peut-être la fin hâtive de cette mesure. Les consommateurs paieront plus cher à partir de 2025, ce qui va refroidir leurs ardeurs. Faute d’une offre de rechange conséquente en transport actif ou collectif, cela va retarder du même coup la réduction des émissions polluantes de la province.
À moins que.
Un scénario qui pourrait se produire est que le prix des véhicules baissera plus vite lui aussi. La chute du prix des matériaux des batteries, observée dans la dernière année, pourrait se poursuivre à mesure que leur production à l’extérieur de la Chine augmentera. Le même calcul vaut pour la production nord-américaine de véhicules électriques : les usines qui ouvriront dans les prochains mois aux ÉtatsUnis et au Mexique contribueront à faire baisser les prix.
Hecho en México
Au moment de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain, les États-Unis, alors dirigés par Donald Trump, avaient un but en tête : protéger leur économie de leurs rivaux étrangers, dont la Chine. Il leur a fallu mettre de l’eau dans leur vin, notamment parce que l’industrie automobile du Canada, du Mexique et des États-Unis est essentiellement la même industrie.
Résultat : l’Accord Canada ÉtatsUnis Mexique (ACEUM) considère les pièces et les véhicules produits au Canada et au Mexique comme des pièces et des véhicules faisant partie du marché intérieur des États-Unis. Cette concession n’a pas été faite pour toutes les autres industries.
Au Mexique, le boom n’a pas tardé : de nouvelles usines de véhicules électriques commencent à surgir du sol. Et certaines sont la propriété de constructeurs chinois, ou le seront bientôt. Le mois dernier, le média japonais Nikkei rapportait que le prochain en lice était BYD.
BYD (pour « Build Your Dream ») est non seulement le plus important constructeur chinois de véhicules électriques, mais il est devenu au dernier trimestre de 2023 le numéro un mondial, devant Tesla. Son plus gros actionnaire institutionnel est la firme Berkshire Hathaway, du milliardaire américain Warren Buffett.
Au Mexique, BYD vient de mettre en vente sa Dolphin Mini, une petite auto électrique dont l’autonomie peut atteindre 405 kilomètres, selon le constructeur — probablement plus près des 200 km à 250 km en réalité. BYD produit déjà des autobus électriques en Ontario. En 2019, il a adapté aux normes de sécurité canadiennes deux douzaines d’exemplaires de sa petite familiale e6, achetées par une société de taxi montréalaise.
Bref, BYD connaît le marché automobile nord-américain, y compris le Canada. Ses véhicules sont déjà populaires ailleurs dans le monde et coûtent moitié moins cher que des Tesla.
En retirant son aide à l’achat de véhicules neufs, Québec rejoint les autres provinces et États nord-américains qui ont fixé des quotas de ventes de véhicules zéro émission que les constructeurs présents sur leur territoire redoutent, plusieurs ne pensant pas y arriver à temps.
En d’autres mots, le Québec est soudainement très alléchant pour des marques comme BYD.