Le Devoir

Remettre le génie de l’IA dans sa bouteille

- Sylvain Larose L’auteur est enseignant au secondaire, chargé de cours en didactique et auteur.

Encore un article sur l’intelligen­ce artificiel­le et la révolution qu’elle va nécessaire­ment engendrer en éducation (« L’IA prépare sa place à l’école », dans Le Devoir du 14 mars). Encore un article qui utilise comme source des acteurs d’entreprise­s privées, parfois des technopéda­gogues, qui ont réellement tout intérêt à mettre la main sur le système scolaire.

Ce coup-ci, on nous parle de la magie de l’IA capable d’élaborer un plan de cours. Wow, j’en ai les bras qui tombent ! Un peu comme si je pouvais acheter un manuel d’une maison d’édition scolaire reconnue avec plans de leçons, exercices et évaluation­s à la clé.

Mais avec l’IA, mon plan de cours sera bien sûr 1000 fois meilleur : je ne sais pas sur quelles sources elle s’appuie, quel droit d’auteur elle bafoue et si même ce qu’elle écrit sera vrai (et à quel degré). À moi de relire le tout, de trouver les sources, de payer les droits d’auteur, de recadrer les « hallucinat­ions » de l’IA (l’intelligen­ce artificiel­le ne fait pas d’erreurs, elle « hallucine »). Que de temps gagné, en effet. Wow !

Et puis, surtout, c’est l’injonction suivante qui me dérange : « Et comme on ne remettra pas le génie dans la bouteille […] » Voilà, tout est dit : l’IA s’en vient, on ne peut pas réfléchir, on ne peut pas attendre, on ne peut pas y échapper. Je dois utiliser l’IA dans ma classe, même si je n’en ressens aucun besoin.

L’IA, c’est le robot conversati­onnel qui dit soutenir les apprentiss­ages de mes élèves 24 heures sur 24 ; qui peut détecter les troubles d’apprentiss­ages dès le premier résultat d’une évaluation (laquelle ?) ou en fonction d’algorithme­s qui prédisent le degré de réussite d’une personne étudiante avant même le début des cours (comment ?).

L’IA, c’est le programme qui fait les devoirs à la place des élèves (comment ?), puis qui me fournit un programme pour détecter quand les élèves ont utilisé un programme pour faire leurs devoirs à leur place (vraiment ?).

L’IA, c’est une autre façon de réduire l’éducation à sa simple dimension de diplomatio­n : comment puis-je réussir le cours ? L’IA n’aide ni à instruire les élèves ni à les socialiser (mon Dieu, non !). L’IA, c’est une autre façon d’obliger les élèves à passer plus de temps rivés aux écrans, alors

Voilà, tout est dit : l’IA s’en vient, on ne peut pas réfléchir, on ne peut pas attendre, on ne peut pas y échapper. Je dois utiliser l’IA dans ma classe, même si je n’en ressens aucun besoin.

que tout le monde sait que cela leur est nuisible.

L’IA, c’est aussi confondre le travail des personnes enseignant­es profession­nelles (quatre ans de baccalauré­at !) avec celui de technicien­nes de l’éducation.

Oui, on peut remettre le génie dans la bouteille. La preuve : on sait que la réussite éducative passe par des classes moins nombreuses, des espaces physiques agréables, une alimentati­on saine et abondante, des ressources humaines spécialisé­es facilement accessible­s, une solide formation universita­ire, un salaire étudiant, etc. Or, le sachant, nos gouverneme­nts s’empressent de remettre toutes ces solutions de génie dans la bouteille du capitalism­e compétitif.

Alors oui, on peut remettre le génie dans la bouteille.

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