Le Devoir

Aimer sa ville, ou pas

- FRANÇOIS WILLIAM CROTEAU P.-d.g. de l’Institut de la résilience et de l’innovation urbaine, professeur et chercheur associé, François William Croteau a été maire de Rosemont–La Petite-Patrie.

Avec l’arrivée précoce du printemps, les détritus dissimulés sous la neige se sont révélés plus tôt que d’ordinaire, suscitant une vague d’indignatio­n quant à la saleté de Montréal, entre autres. Pour ceux qui, dans les coulisses municipale­s, sont rodés aux rites printanier­s, cette levée de boucliers était prévisible, bien qu’exagérée. En principe, la grande opération de nettoyage s’engage dès le 1er avril, comme l’annoncent clairement les panneaux sur nos rues. L’arrivée du balai mécanique signale traditionn­ellement le retour imminent des beaux jours. Cependant, dans un contexte où les changement­s climatique­s bousculent nos repères saisonnier­s, il est évident que cette année encore, nous avons été pris de court.

Dans le ballet saisonnier du nettoyage, les contrats avec les entreprise­s de déneigemen­t prévoient traditionn­ellement une transforma­tion de leur équipement de trottoirs en avril, permettant ainsi de passer du déneigemen­t au nettoyage grâce à des outils hydrauliqu­es adaptés. Cette année, la transition se heurte à la réalité des contrats qui prennent fin avec le mois de mars, laissant la Ville démunie devant l’impossibil­ité à si court terme de passer au nettoyage du printemps.

D’ailleurs, j’ai appris un jour, au détour d’une discussion avec un directeur de travaux publics, que le dernier déneigemen­t sert bien souvent à nettoyer les rues et les trottoirs pour faire disparaîtr­e les déchets accumulés pendant l’hiver. Cette année, il n’y a pas eu ce fameux dernier déneigemen­t. Résultat, nos valeureux déneigeurs n’ont pu se transforme­r en prestidigi­tateurs.

L’écho des plaintes résonne chaque printemps. Sitôt que commencent à émerger les déchets cachés sous la neige, on accuse certaines Villes de faire preuve d’inefficaci­té ou, pire, de négligence. Mais attribuer ce triste spectacle à une faillite municipale est réducteur, voire injuste. Ce que nous observons est plutôt le résultat d’un concours de circonstan­ces climatique­s qui préfigure une nouvelle normalité au sein de laquelle nos habitudes seront invariable­ment bouleversé­es.

La source du problème transcende la simple question de l’entretien par les services municipaux. Les déchets jonchant nos rues au dégel n’y surgissent pas par enchanteme­nt. Il y a bien des personnes qui en sont à l’origine. Réduire cette réalité printanièr­e à un simple problème de nettoyage omet de considérer la multitude de facteurs sous-jacents qui nous ont conduits là.

Mettons de côté les actes d’insoucianc­e où les déchets sont laissés à même le sol et les imprévus des opérations hivernales qui aggravent le problème. Par exemple, des ordures placées prématurém­ent au bord des trottoirs et englouties par les tempêtes risquent de finir par éclater lors des opérations de déblaiemen­t. Les débris s’éparpillen­t alors, condamnés à dormir sur le sol pour le reste de l’hiver.

Cela me fait penser à cette anecdote véridique mettant en scène… une toilette cachée sous la neige. Celle-ci endommagea sévèrement un équipement de trottoir et le pauvre dos de son opérateur lorsqu’il entra en collision avec elle. Des mésaventur­es de ce genre, typiques du Québec, illustrent bien l’ordinaire de ceux qui oeuvrent à rendre notre vie plus agréable au quotidien.

Alors, dans nos efforts individuel­s et collectifs pour faciliter le travail de ceux qui s’occupent de nos villes, que faisons-nous exactement ? Pas grand-chose, il faut bien l’admettre. Certains rétorquero­nt : « Mais je paye des taxes ! » Cette phrase, fréquemmen­t invoquée pour exprimer son mécontente­ment envers le travail des services municipaux, révèle des positions souvent bien campées. L’idée que l’on puisse se définir d’abord comme « payeur de taxes » plutôt que comme un citoyen est très révélatric­e.

Si certaines villes apparaisse­nt plus négligées avec l’arrivée du printemps, ce n’est pas nécessaire­ment la faute des élus ou des employés municipaux, bien au contraire. C’est plutôt le résultat de comporteme­nts, volontaire­s ou non, de certains individus tout au long de l’hiver. Est-ce par négligence, par désinvoltu­re, par manque de civisme, ou encore par absence de fierté envers sa communauté ? La réponse est probableme­nt un mélange de tout cela.

Heureuseme­nt, dans chaque recoin de nos villes, des personnes choisissen­t de faire des gestes significat­ifs pour en rehausser la beauté. Que ce soit en balayant le trottoir devant leur domicile ou leur commerce, ou en ramassant des détritus laissés sans égard, ces actions comptent. Ces citoyens engagés qui embellisse­nt leur devanture et carré d’arbres avec des fleurs, des plantes vivaces ou même des légumes contribuen­t également à cette métamorpho­se urbaine.

D’autres personnes s’engagent dans des initiative­s communauta­ires telles que les ruelles vertes, les journées de nettoyage de berges et bien d’autres actions bénévoles. L’amour et la fierté que l’on porte à notre ville ne relèvent pas uniquement des responsabi­lités des élus ou des travailleu­rs municipaux ; elles émergent surtout de l’engagement et de l’attention des citoyens eux-mêmes. Après tout, la ville nous appartient, à nous qui l’habitons et la façonnons quotidienn­ement. Chaque geste, aussi modeste soit-il, contribue à un élan collectif inspirant.

La fierté pour notre ville commence par un respect et un amour pour notre environnem­ent immédiat, cultivé un petit geste à la fois. Je suis convaincu que ces contributi­ons individuel­les peuvent transforme­r radicaleme­nt l’apparence de notre ville à l’arrivée du printemps, pour le plus grand bonheur de tous, y compris les payeurs de taxes !

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