Le Devoir

Le jour où le bon sens s’est enfui par la fenêtre

Exercice de fiction-réalité pour illustrer l’absurdité du refus d’installer des purificate­urs d’air dans les classes

- Josiane Cossette

Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice a enseigné la littératur­e au collégial et est présidente du conseil d’établissem­ent d’une école primaire. Elle a codirigé et coécrit l’essai Traitement­schocs et tartelette­s. Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec (Somme toute).

Une mère de notre école m’a écrit dernièreme­nt. Préoccupée par les feux de forêt qui couvent déjà et qui auront tôt fait de reprendre de la vigueur, elle me demandait s’il serait possible d’installer des purificate­urs d’air dans les classes. Elle était loin de se douter qu’elle ouvrait une gigantesqu­e boîte de Pandore.

Quatre ans après le début de cette pandémie dont on aura trop peu appris, comment lui répondre sans me mettre en colère ? Comment lui expliquer le refus, absurde et obstiné, de nos institutio­ns à leur égard ? Lorsque, dans 10 ou 15 ans, rien n’aura bougé, parce que les travaux d’installati­on d’échangeurs d’air auront été jugés trop chers et auront tardé à être exécutés, et que la qualité de l’air dans nos classes se sera plus encore dégradée, comment expliquero­ns-nous la situation à nos enfants ? Montréal, 7 juin 2039. Une mère et son fils discutent dans leur salon, non loin d’une fenêtre. Leurs visages sont baignés par une étrange lueur orangée. — Maman, pourquoi on doit encore rester à la maison ?

— Les écoles sont fermées parce que la qualité de l’air en classe est trop mauvaise, chaton, c’est dangereux. Les feux de forêt sont très forts parce qu’ils ne s’éteignent plus l’hiver. Il y a trop peu de neige au sol, les températur­es sont trop douces. Le smog est là, presque chaque jour, impatient de se coller à tes petits poumons.

— Mais j’aimerais ça voir mes amis, je m’ennuie de ma prof… Pourquoi la maison, c’est correct, mais pas l’école ? — Parce qu’ici, on a installé, il y a très longtemps de ça, des purificate­urs d’air. C’était bien avant ta naissance, quand maman sortait de l’université. Il y a eu une pandémie. La COVID-19, un dangereux virus, a tué plein de gens et en a affaibli des tonnes d’autres. Tu te souviens de mon amie Mylène ? — Celle en chaise roulante, avec les grosses lunettes de soleil puis les cheveux tout blancs ?

— Oui, cette Mylène-là. C’est ça qui l’a rendue malade. Bref, ce virus-là, il se transmetta­it par l’air. Pendant la pandémie, les écoles ont été fermées très longtemps. Puis, un jour, le gouverneme­nt de la CAQ…

— La CAQ, c’est quoi ça ?

— La Coalition avenir Québec, un parti politique mort, je te raconterai. Donc, un jour, le gouverneme­nt a fini par écouter des parents qui demandaien­t qu’on agisse en installant des petites machines dans les classes, pour mesurer la qualité de l’air.

— Oh oui, il y en a encore une dans la mienne. On l’appelle Joe 2000, parce que le lecteur affiche toujours au moins 2000 PPM !

— Donc, quand ces petites machines-là, des capteurs de CO2, indiquaien­t plus de 1500 PPM, il fallait changer l’air de la classe parce que ça devenait plus risqué d’attraper le virus. Et pour changer l’air, le gouverneme­nt avait donné la directive d’ouvrir les fenêtres. — Ouvrir les fenêtres ? Mais ça ne marche pas avec le smog, ça ! On a des purificate­urs d’air à la maison, pourquoi il n’y en a pas dans les écoles ? — Il faut se ramener en janvier 2021 pour comprendre. Ce mois-là, un comité censé protéger la santé de la population a déposé un rapport, dans lequel il avait décidé de ne pas recommande­r d’installer des purificate­urs d’air dans les classes. Il ne les a pas interdits, mais c’était tout comme ! Parce que quand une école voulait en installer un, elle demandait la permission au palier d’au-dessus, le centre de services scolaire, qui, lui, se basait sur les directives de son patron, le ministère de l’Éducation, qui, lui, s’appuyait sur la non-recommanda­tion du comité…

— Mais pourquoi l’école de Julie-Anne est ouverte, alors ?

— Parce que Julie-Anne fréquente une école privée. Et ces écoles-là, elles ont eu la liberté d’en installer.

— Mais ce n’est pas juste, ça ! Aujourd’hui, malgré le smog, elle peut continuer d’apprendre et pas moi ! En plus, il me semble qu’il y en avait déjà un peu, des feux, dans ce temps-là ? Grand-papa m’a raconté être allé en éteindre, sur la Côte-Nord…

— T’as une bonne mémoire, mon chou. Les feux étaient déjà une réalité. Même qu’en 2024, la qualité de l’air a empiré dans les classes… Est-ce que c’était parce que les profs ouvraient moins les fenêtres en hiver, tannés que leurs élèves gèlent ? Peut-être… Mais en mai et juin, quand il y a eu des canicules doublées de feux de forêt, les élèves ont dû faire leurs examens du ministère en suffoquant… Malgré tout ça, le gouverneme­nt s’est obstiné à refuser les purificate­urs pour plutôt faire de gros travaux très chers et très longs. Et, 15 ans plus tard, ton école attend encore que ce soit son tour. — Ça me rend triste…

— Moi aussi, mon chat. J’aurais vraiment aimé que tu sois en classe, à respirer de l’air pur, et ne pas avoir à te raconter tout ça.

— Maman, tu sais quoi ? Dans toute cette histoire-là, moi, je pense que c’est le bon sens qui s’est enfui par la fenêtre.

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