« Nous, on voudrait leur dire »
Des élèves du secondaire envahiront mercredi soir les scènes de grands théâtres montréalais
Ils étaient une douzaine d’ados du secondaire sur scène, mardi soir, devant le rideau rouge de la Maison Théâtre. Leurs corps poussés vite cherchaient une contenance : mains dans les poches des cotons ouatés, bras croisés, souriants d’être là, oscillant entre le sérieux que demande une générale et l’envie de s’en moquer. Mercredi soir, ils grimperont sur les scènes des Écuries, de Duceppe, de l’Espace libre, de DenisePelletier, du Nouveau Monde et du Rideau vert. Pour la Journée mondiale du théâtre pour l’enfance et la jeunesse, ils s’adresseront quelques minutes aux spectateurs de Montréal venus voir
Cispersonnages en quête d’auteurice ou
La ménagerie de verre.
« On veut vraiment porter un message », expliquent des filles du Collège de Montréal en attendant leurs pointes de pizza d’avant-répétition. « On veut dire aux adultes, à nos parents, qu’on veut qu’ils nous écoutent. Que c’est pas la même chose que juste nous entendre. Qu’on se sent souvent pas écoutées. »
C’est la Maison Théâtre qui a lancé l’idée : inviter des écoles secondaires à travailler en moins d’une dizaine d’heures une présentation avec leurs élèves qui sera ensuite offerte en lever de rideau dans de « vrais théâtres ». « On sent qu’on a une responsabilité envers les jeunes qui nous fréquentent », explique la directrice artistique, Sophie Labelle. « Celle de leur proposer des spectacles, bien sûr ; mais aussi des projets, comme ce lever de rideau, qui vont les aider à réfléchir et à avancer. » Et qui les fait voir un théâtre depuis la scène plutôt que seulement de la salle.
Trois écoles ont répondu : Lanaudière, Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont et le Collège de Montréal. Toutes ont été accompagnées par la médiatrice
Charly Mullot, qui a utilisé parfois aussi ses talents de plume pour rassembler les propos des élèves.
En ce soir de générale, l’équipe de la Maison Théâtre était à pied d’oeuvre pour gérer les livreurs de pizza, les boîtes de barres tendres, la circulation, les répétitions, le niveau sonore des jeunes voix. La directrice artistique Sophie Labelle avait de la broue dans le toupet et l’énergie haute. « Mon plus gros défi, c’est de les traiter en tant que directrice artistique, et pas en tant que maman. J’ai juste envie de les chouchouter… »
Les plus jeunes du Collège ont choisi de monter un choeur. Les plus grands ont retravaillé le conte, en revisitant Le petit chaperon rouge à la morale plus nuancée et flottante que celle du conte de Perreault.
Un autre groupe s’est lancé dans le théâtre invisible — on ne divulgâchera pas ici… À Paul-Gérin-Lajoie, les jeunes vont chercher à entamer un dialogue avec les spectateurs.
Emma, 14 ans, est de cette troupe. « On va parler de notre spectacle de rêve, et demander aux spectateurs ce serait quoi, le leur. »
« Moi, je vais parler plutôt de mon rôle de rêve. J’aime beaucoup Avengers et les films de superhéros », expliquet-elle, avec une voix qui s’accélère, un sourire qui grandit et des yeux qui brillent de plus en plus. « J’aime surtout Iron Man. Je veux ses technologies, ses voitures — j’adooooore les voitures ! — être millionnaire… » « Je suis Emma Stark, poursuit-elle, j’ai toujours voulu être la fille d’Iron Man… Regarde, je me suis même fait un t-shirt », dit-elle en ouvrant sa veste et dévoilant ainsi le logo du réacteur ARK, coeur et moteur d’Iron Man et de Tony Stark.
Est-ce que ce n’est pas un peu tricher, Emma, que de prendre un personnage de film quand on parle de spectacle de rêve ? Le sourire s’élargit encore. « Non, parce que c’est vraiment ça, mon rôle de rêve. »
Les mots qu’on reçoit
Ce que son prof Gilbert Trudel préfère de ce projet, c’est d’y « entendre la parole de mes élèves sans filtre, et qu’ils puissent porter cette parole, leur message, devant d’autres adultes, qui ne sont pas leurs parents ». « Disons-le, le public des théâtres est vieillissant, continue M. Trudel. Et ce lien que fait le lever de rideau avec les jeunes de la nouvelle génération, je le trouve touchant. »
Sophie Labelle renchérit de son côté : « C’est pas si courant, la rencontre entre des adultes et des jeunes, en dehors de la famille et de l’école. Et, oh surprise ! de manière généralisée iels trouvent qu’on ne les écoute pas assez », remarque-t-elle.
Des phrases fusent de la scène. « Écoutez-moi, écoutez-nous ! » « Vous êtes toujours sur votre cellulaire ! » « J’ai pas assez de liberté ! Je me sens surprotégée ! » « Il nous manque votre présence. »
Mme Labelle admet avoir la larme à l’oeil quand elle les voit ainsi. Vrai qu’ils sont touchants. « Je viens de passer plusieurs mois où je me suis sentie alourdie par les enjeux » des arts, de la culture, des jeunes. « On a besoin d’espoir. Pis ce projet-là, il nous en donne. »
Comme des parfums qu’on respire
De la dizaine d’élèves interrogés à la volée par Le Devoir, aucun ne va au théâtre en dehors de l’école. Mardi soir, ils étaient tous d’une concentration en arts dramatiques. Une seule a rapporté aller voir régulièrement de la danse contemporaine, tout particulièrement les spectacles des écoles de formation, avec son oncle.
La logistique qui vient avec ce genre de rencontre est exigeante, souligne Sophie Labelle, qui a dû courir lundi pour aller acheter des billets de métro pour ceux qui n’ont pas de carte Opus afin qu’ils puissent se rendre aux théâtres où ils présenteront ce soir.
« Juste gérer les pizzas, c’est vraiment dur de savoir combien en commander. Ça mange, à cet âge-là, hein, et je veux pas qu’ils aient faim », rigole Mme Labelle. Et vrai que ça protestait ferme quand le quota de deux pointes par personne, peut-être trois s’il en reste, a été annoncé…