Le prix de l’arrogance
Àla veille des élections d’octobre 2022, François Legault avait senti le besoin de dissiper la mauvaise impression qu’avait peut-être laissée son premier mandat. « Je suis quelqu’un qui est à l’écoute. La pandémie m’a rendu plus humble que jamais », avait-il assuré. Alors que le gouvernement en sera bientôt à mi-chemin d’un deuxième mandat, on ne peut pas dire que cette écoute et cette humilité sautent aux yeux. Le terme « arrogance » qualifierait sans doute mieux l’image qu’il projette.
Le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a toujours considéré ceux qui s’interrogent sur ses décisions, qu’il s’agisse de députés d’opposition ou de journalistes, comme des béotiens qui ne comprennent rien au développement économique. S’inquiéter de la précipitation avec laquelle le gouvernement a donné le feu vert à Northvolt ne peut que relever de l’ignorance ou de la mauvaise foi.
La ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, qui avait conseillé aux victimes de la crise du logement d’investir dans l’immobilier, a manqué une autre occasion de démontrer un peu d’empathie quand elle a déclaré que les maisons d’hébergement pour femmes violentées coûtent trop cher.
Même l’aimable ministre des Finances, Eric Girard, a manifesté son agacement, la semaine dernière, quand il a été questionné par les médias sur la réaction des agences de crédit à un déficit de 11 milliards, que son propre collègue député de Saint-Jérôme, Youri Chassin, a qualifié de « vertigineux ».
La hausse du coût de la vie dans toutes ses manifestations a créé un fort mécontentement, autant au Québec que dans le reste du Canada. M. Legault n’en est pas plus responsable que ses collègues des autres provinces, mais il devrait se demander pourquoi il est aujourd’hui le premier ministre le plus impopulaire, alors qu’il était le chouchou il n’y a pas si longtemps.
Son gouvernement a pourtant distribué des milliards en chèques et en crédits d’impôt pour adoucir les effets de l’inflation. On peut être d’avis que cette aide aurait dû être mieux ciblée, mais cela ne suffit pas à expliquer une insatisfaction aussi généralisée.
Le temps d’attente à l’urgence est sans doute plus long au Québec que dans les autres provinces, mais le phénomène n’est pas nouveau. Et puis l’Ontario manque aussi d’enseignants, au point de devoir se tourner vers du personnel non qualifié.
En revanche, aucune autre province n’a accordé à ses députés une augmentation de salaire de 30 % pendant que les files d’attente s’allongeaient devant les banques alimentaires. Alors que M. Legault rappelle continuellement notre écart de richesse avec l’Ontario, les électeurs québécois ont eu du mal à comprendre pourquoi les membres de l’Assemblée nationale devraient être mieux payés qu’à Queen’s Park ou n’importe où ailleurs au pays.
Le hockey passionne autant les Canadiens que les Québécois, mais pas au point de subventionner un club californien à coups de millions pour venir jouer deux parties hors concours de ce côté-ci de la frontière.
Les médias du Canada anglais n’ont pas davantage rapporté le cas d’un ministre qui s’adonnait à la chasse au faisan avec ses amis millionnaires et qui s’est offusqué qu’on lui en fasse le reproche. Dans le cas de M. Fitzgibbon, M. Legault a plutôt semblé s’en amuser.
Le dernier sondage Léger indique que la déroute de la Coalition avenir Québec (CAQ) s’aggrave. Avec 22 % des intentions de vote, soit 19 points de moins qu’aux dernières élections, elle pourrait être confinée au rôle de deuxième groupe d’opposition. Encore faut-il que la chute s’arrête là.
La dégringolade depuis un an est observable dans tous les groupes d’âge et toutes les régions, mais c’est à Québec qu’elle est la plus marquée. L’an dernier à pareille date, la CAQ avait 23 points d’avance sur le Parti québécois (PQ) ; elle a maintenant 20 points de retard.
Plus que partout ailleurs, les électeurs ont manifestement le sentiment d’avoir été trompés par un parti auquel ils avaient été fidèles depuis le début. De mémoire, la région de Québec n’avait jamais été celle où le PQ trouvait son plus fort appui.
M. Legault n’aurait sans doute pas cru voir le jour où Gabriel Nadeau-Dubois serait perçu comme un aussi bon candidat que lui au poste de premier ministre. Il assure ne pas réfléchir à son avenir, mais certains à la CAQ pourraient bientôt commencer à se demander si le père fondateur n’est pas devenu un boulet. C’est la conclusion à laquelle de nombreux péquistes étaient arrivés durant le deuxième mandat de René Lévesque, qui avait choisi de tirer sa révérence avant qu’on lui montre la porte. Le PQ a survécu à son départ, mais la CAQ survivrait-elle à celui de François Legault ?
Alors que le gouvernement en sera bientôt à mi-chemin d’un deuxième mandat, on ne peut pas dire que cette écoute et cette humilité sautent aux yeux. Le terme « arrogance » qualifierait sans doute mieux l’image qu’il projette.