Le Devoir

« La mort tragique de ma conjointe me hante encore »

Le conjoint de Maureen Breau écorche ceux qui sont intervenus dans le passé auprès de l’homme qui l’a tuée

- JUSTICE STÉPHANIE MARIN

« La mort tragique de ma conjointe me hante encore », a déclaré Daniel Sanscartie­r, le conjoint de la policière Maureen Breau, tuée en service il y a un an à Louisevill­e, en Mauricie. Lors de l’enquête de la coroner sur son décès, il a écorché ceux qui devaient intervenir auprès d’Isaac Brouillard Lessard, l’homme atteint de troubles mentaux qui a tué sa conjointe lors d’une interventi­on policière.

« Je demeure avec un goût amer », a-t-il déclaré dans une lettre lue à l’enquête par une amie de la famille, Annie Grenier, mercredi matin au palais de justice de Trois-Rivières.

« Ils auraient pu faire mieux et changer le cours de l’histoire. Au final, c’est ma conjointe qui en a payé le prix. »

Selon lui, l’attaque mortelle était « prévisible et aurait pu être évitée ».

Dans sa lettre, il a souligné le grand vide qu’elle laissait dans sa vie et dans celles de leurs deux enfants. Il n’a pas tari d’éloges sur la femme qui a partagé sa vie pendant 20 ans : il a parlé de son charisme, de son entregent, de son rire sincère et communicat­if. Attachante, attentionn­ée, généreuse et à l’écoute.

Elle était une policière engagée, qui avait beaucoup d’écoute pour les victimes. Il a même relaté qu’au salon funéraire, une victime est venue lui serrer la main et lui dire que Maureen avait été un élément clé pour se sortir de l’enfer de la violence conjugale. « Vous savez, lorsqu’une victime prend la peine de se déplacer au salon funéraire, cela vous donne une idée de l’impact qu’elle a eu dans sa vie. »

Il a ensuite été tranchant, soulignant qu’il n’allait pas répéter tous les « manquement­s évidents » dans le traitement et le suivi des personnes souffrant de troubles mentaux, qui ont été étalés lors des audiences publiques sur la mort de sa conjointe et celle d’Isaac Brouillard Lessard.

« De toute évidence, la grande conclusion de cette enquête tient sur deux lignes : tout le monde devait se parler, mais ne se parlait pas vraiment. Et tout le monde devait agir, mais, en réalité, personne n’agissait vraiment. »

Le nombre d’appels pour des gens en détresse, avec des problèmes mentaux, ne cesse d’augmenter, souligne celui qui est aussi policier. Il faut revoir les façons de faire, a-t-il signalé dans sa missive.

Le 27 mars 2023, la sergente de la Sûreté du Québec (SQ) Maureen Breau s’était rendue avec trois collègues dans une maison de chambres de Louisevill­e pour procéder à l’arrestatio­n d’Isaac Brouillard Lessard, qui venait de proférer des menaces de mort contre son oncle. Le premier policier à entrer estimait avoir établi un contact avec lui lors d’une précédente interventi­on. Lorsqu’il lui a expliqué qu’il venait pour l’arrêter, Isaac a crié et a soudaineme­nt saisi un couteau, le blessant gravement à la tête. Maureen Breau s’est alors précipitée à sa rescousse, mais elle a reçu des coups de couteau au cou, à la tête et à la nuque, qui se sont révélés fatals. L’homme a été abattu par les deux autres policiers présents.

L’appel tant redouté

Le père de Maureen, Michel Breau, a relaté la soirée du 27 mars 2023, quand le téléphone « a sonné à 8 h 50 ». C’était le conjoint de sa fille, qui lui a dit de se rendre à l’hôpital.

« Je me suis mis à pleurer. J’ai tout de suite pensé au pire », a dit l’homme, sobre et digne. Il a expliqué comment il est entré avec sa femme « par une porte en arrière », après qu’on lui a refusé l’accès à l’urgence de l’hôpital.

Puis, une infirmière a prononcé ces mots tant redoutés par les parents : elle a dit « que c’était terminé pour Maureen », a-t-il laissé tomber, le souffle court.

Depuis, ce père se pose des questions sur l’interventi­on policière.

Maureen avait plus de 20 ans d’expérience, a-t-il expliqué. Il ne veut pas blâmer quiconque, mais se dit convaincu qu’elle ne savait pas qu’Isaac avait un couteau. « Ils ne l’ont pas informée » avant qu’elle ne se précipite à la rescousse de son jeune partenaire policier.

« Comme une bonne mère de famille, elle est allée prendre soin de son petit gars, pis ça lui a coûté sa vie. »

Mardi, Bruno Poulin, qui a témoigné à titre d’expert en emploi de force, a indiqué que le premier policier aurait dû signaler à voix haute que l’assaillant avait un couteau pour avertir les autres.

M. Breau a aussi témoigné de pressions de la part d’un policier retraité de la SQ qu’il avait croisé au lendemain de la mort de sa fille, en compagnie des trois autres policiers impliqués dans l’interventi­on. Plus tard, ce dernier l’a appelé, a-t-il témoigné, pour lui demander « s’il pouvait arrêter l’enquête publique ». Il a insisté, a rapporté M. Breau, soutenant même que l’enquête publique sur la magouille dans l’industrie de la constructi­on n’avait rien donné.

Après son témoignage, la coroner Géhane Kamel a quitté le devant de la salle d’où elle écoute les témoins pour aller prendre longuement l’homme dans ses bras.

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