Des moutons de Panurge à l’Assemblée nationale
Ou quand la souveraineté parlementaire aiguillonne à tort le pouvoir judiciaire suprême
À l’aveuglette — tels des moutons de Panurge —, par une motion unanime, nos élus québécois se sont dissociés de « l’utilisation de termes ou de concepts contribuant à invisibiliser les femmes ». Mardi, Québec solidaire et le Parti libéral du Québec se sont amendés, reconnaissant des erreurs dans son adoption. Le mal était fait : la souveraineté parlementaire a aiguillonné à tort le pouvoir judiciaire suprême.
Voyons le contexte du dérapage. Rédactrice du jugement de la Cour suprême (R. c. Kruk), la juge Sheilah Martin analyse la possibilité qu’une femme puisse se tromper sur la sensation d’une pénétration péno-vaginale. Lors d’un procès pour agression sexuelle, la victime intoxiquée raconta avoir senti en elle le pénis de l’accusé.
Le constat d’un rapport sexuel était logiquement compatible avec d’importants éléments circonstanciels de la preuve, écrit la juge Martin. Il convenait donc de scruter le témoignage factuel de la plaignante et son ressenti. Il a semblé extrêmement improbable à la Cour suprême qu’une personne puisse se tromper au sujet de la sensation d’une pénétration péno-vaginale. Par conséquent, en l’absence d’une erreur manifeste ou déterminante, c’était une hypothèse légalement admissible au procès.
Conjecture et bon sens
Une conjecture correspond à l’absence de fondement factuel. Perçue comme erreur de droit, une supposition survient lorsque le juge d’instance conclut erronément qu’un élément de preuve génère un doute raisonnable sur la culpabilité. En appliquant le « bon sens », le juge détermine qu’un récit est soit plausible, soit intrinsèquement chimérique.
Une réflexion judiciaire admet le recours à des généralisations fondées sur la compréhension du comportement humain. Elle permet de soupeser la preuve et d’apprécier la crédibilité des témoins. Le raisonnement fondé sur la façon dont les gens tendent à se comporter est permis. Il en va de même du déroulement habituel des événements. Toutefois, l’expérience de vie ne peut jamais contredire une preuve admise.
S’agissant du comportement humain, l’application du bon sens et le recours à des généralisations fondées sur des connaissances acquises permettent au juge du procès de déterminer si un récit est plausible ou improbable. Le bon sens n’est pas une expression fourre-tout autorisant toute forme de raisonnement appuyé sur des faussetés ou des croyances discriminatoires.
L’agression sexuelle envers une femme peut mettre en cause des versions contradictoires à propos de contacts non consentis, aux dires d’une plaignante. En soi, rien n’empêche l’utilisation du bon sens pour apprécier la fiabilité et la crédibilité des témoignages.
N’en déplaise à la ministre responsable de la Condition féminine, Martine Biron, l’utilisation du mot « vagin » dans un contexte d’analyse juridique n’a aucune coïncidence avec l’invisibilité de la femme. L’unanimité de la motion de l’Assemblée nationale caractérise simplement l’irréflexion. Quel dommage !