Le Devoir

Leurre et malheur de la troisième voie politique

Le ni-ni a séduit pendant un temps, mais force est d’admettre que cette politique freine le développem­ent du Québec

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Les difficulté­s auxquelles fait face la Coalition avenir Québec (CAQ) s’expliquent en partie par sa politique « ni souveraini­ste ni fédéralist­e ». Durant un peu plus de 60 ans, la politique québécoise s’organisait principale­ment autour du clivage souveraini­ste-fédéralist­e : les uns, représenté­s par le Parti québécois (PQ), prônaient l’indépendan­ce, alors que les autres, représenté­s par le Parti libéral du Québec (PLQ), prônaient l’appartenan­ce au Canada.

Ce clivage a atteint son degré d’intensité maximal lors des référendum­s de 1980 et de 1995. Depuis lors, il a été progressiv­ement relégué à l’arrièrepla­n du débat politique, ouvrant le champ à d’autres clivages et formations politiques.

Cela s’est manifesté notamment par l’accession de l’Action démocratiq­ue du Québec (ADQ) au statut d’opposition officielle en 2007, puis par l’élection de la CAQ en 2018.

Prônant une troisième voie politique, l’ADQ et la CAQ soutenaien­t que les débats constituti­onnels et référendai­res avaient divisé les Québécois et freiné le développem­ent de la province. À leurs yeux, il fallait plutôt se focaliser sur l’efficacité de l’État et des sujets identitair­es tels que la langue, l’immigratio­n et la laïcité.

C’est ainsi qu’ils développen­t ce qu’on peut appeler, en s’inspirant de la politique française vis-à-vis du débat sur la souveraine­té du Québec, la politique « ni souveraini­ste ni fédéralist­e », autrement dit, le « ni-ni ».

Même si le « ni-ni » a séduit les électeurs pendant un certain temps, cette politique est incohérent­e, conduit à l’immobilism­e et freine le développem­ent du Québec.

S’il y a une question sur laquelle on ne peut être neutre, c’est bien celle qui concerne le statut du Québec au sein du Canada. À cet égard, il n’existe que deux réponses : ou bien on souhaite sortir du Canada, ou bien on souhaite y rester.

Qu’est-ce que l’autonomism­e, d’ailleurs, si ce n’est pas l’idée que le Québec doit être souverain au sein du Canada, donc une vision du fédéralism­e ? Loin d’être une troisième voie, l’autonomism­e suppose l’appartenan­ce à la fédération canadienne.

Le « ni-ni » fait penser à une personne mariée qui, lorsqu’on lui demande si elle est mariée ou non, refuse de répondre, ce qui est pour le moins insensé.

Se prononcer sur l’avenir du Québec ne relève ni de l’idéologie ni de la stratégie, il s’agit d’une question existentie­lle à laquelle quiconque souhaitant s’engager politiquem­ent doit répondre.

Immobilism­e

Le « ni-ni » conduit également à l’immobilism­e. En refusant de choisir entre la souveraine­té et le fédéralism­e, la CAQ s’avère incapable de faire participer pleinement le Québec au fédéralism­e et de profiter des avantages qu’il lui procure.

Pensons à l’enjeu de l’immigratio­n, où la CAQ préfère critiquer le gouverneme­nt fédéral et quémander plus d’argent que d’entamer des négociatio­ns avec celui-ci pour mieux répartir les demandeurs d’asile, revoir l’admission des travailleu­rs temporaire­s et obtenir davantage de ressources.

Comment expliquer que la CAQ n’ait pas invoqué l’article 33 de l’Accord Canada-Québec sur l’immigratio­n — qui permet de réviser la gestion de l’immigratio­n entre Ottawa et Québec — ou proposé d’organiser un sommet fédéralpro­vincial sur l’immigratio­n, si ce n’est à cause de sa politique du « ni-ni » ?

Pensons aussi aux négociatio­ns sur les transferts en santé, négociatio­ns à l’issue desquelles la CAQ s’est contentée d’accepter l’offre du gouverneme­nt fédéral au lieu de rallier les provinces à sa cause et d’exercer un rapport de force face à Ottawa.

Depuis son accession au pouvoir, le CAQ n’a conclu aucun partenaria­t significat­if avec les provinces ni fait de gains qui renforcent le statut du Québec au sein du Canada. Elle a préféré amender unilatéral­ement la Constituti­on canadienne, avec la loi 96, sans consulter les provinces ni Ottawa.

Un tel immobilism­e freine le développem­ent économique du Québec. Plutôt que d’entreprend­re des projets avec d’autres provinces, par exemple en matière d’énergie, de transition verte ou de commerce intérieur, la CAQ se contente de faire cavalier seul tout en continuant de percevoir des transferts fédéraux.

En faisant ainsi du « ni-ni » le fil conducteur de son action politique, la CAQ mène une politique incohérent­e qui ne peut mener qu’à une impasse. En politique, mieux vaut avoir une ligne claire que de cultiver l’incohérenc­e.

Antoine Dionne Charest L’auteur est consultant en affaires publiques. Il a collaboré à la rédaction d’ouvrages portant sur l’histoire et la politique, dont Bâtisseurs d’Amériques (2016) et Canada Always : The Defining Speeches of Sir Wilfrid Laurier (2016).

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