Le Devoir

Passer de l’éclipse solaire à l’éclipse scolaire

- Simon Bucci-Wheaton L’auteur est enseignant au primaire. Il est l’auteur de Mais pourquoi l’école ? Questions et réflexions d’un prof qui n’en était pas un.

Albert Camus disait : « L’école prépare à vivre dans un monde qui n’existe pas. » Cette citation prend tout son sens lorsque nous lisons que des établissem­ents scolaires seront fermés lors de l’éclipse solaire du 8 avril prochain. Galarneau n’entre malheureus­ement pas dans les fameuses cases des gestionnai­res.

Et parce qu’il n’y a rien de formel qui soit prévu pour accommoder une éclipse durant les jours d’école, on conclut que c’est trop compliqué de faire autrement que de suivre absurdemen­t ce qui est écrit sur le fameux laissez-passer A-38 de la Maison qui rend fou des Douze travaux d’Astérix.

« Mais j’aurais aimé ça, moi, qu’on vive l’éclipse en classe, ensemble, M. Simon ! »

« Marie-Soleil, on lève la main avant de parler. Imagine si tout le monde parlait en même temps, personne ne pourrait s’entendre. Nous ne sommes pas à l’Assemblée nationale ici ! Cela dit, tu as raison, moi aussi j’aurais vraiment aimé vivre cette éclipse solaire en classe avec vous, mais bon, nos décideurs en ont décidé autrement. »

Cette décision, prise unilatéral­ement, sans consulter les profs, sans penser à ce que les élèves veulent vraiment, est un symptôme parmi d’autres de la dérive de notre système d’éducation. Le ministre et son ministère suggèrent de garder les écoles ouvertes et les gestionnai­res des centres de services scolaires disent non. Mais pourquoi ? Qui est le patron en éducation ?

N’aurait-il pas été plus formateur de prendre la balle au bond et de préparer une journée thématique dans toutes les écoles ? Il y a déjà la journée pyjama, une journée fluo, une journée à l’envers, une journée chic, etc. Pourquoi pas une semaine entière ayant comme sujet cette éclipse, de manière à forger des souvenirs gravés à jamais dans les mémoires des élèves ? Peutêtre même que ç’aurait pu en aider certains à s’accrocher aux étoiles de l’école au lieu de décrocher.

Je lance même une idée. Il n’est pas trop tard pour organiser une visioconfé­rence avec le grand Charles Tisseyre. Pourquoi ne pas aussi organiser des ateliers en lien avec la matière préparée par le chroniqueu­r Yannick Bergeron ? De la sorte, la vraie et unique raison d’être de l’école, qui est d’instruire, serait comblée. Mais non ! Nos jeunes seront retournés à la maison sur leur tablette. Et après, on va se demander pour quelles raisons nos élèves ne sont pas stimulés et ne semblent pas motivés face aux apprentiss­ages.

Abandon

Le mot « éclipse » provient du dérivé grec ekleípō qui veut dire « abandonner ». Il y a de cela longtemps, les gens, lors d’éclipses, se sentaient abandonnés par leurs dieux lorsqu’ils voyaient le soleil disparaîtr­e. Cette énième fermeture programmée d’école est l’exemple parfait de l’échec et de l’abandon de certains face à notre système scolaire. Nous passons ici de l’éclipse solaire à l’éclipse scolaire. Quelle tristesse !

— Oui, Katerine-Lune ?

— L’école va être fermée ! ?

— Merci d’avoir levé ta main avant de parler, et non, l’école sera ouverte quand même, par contre tu seras au service de garde ou à la maison pendant l’éclipse. Pourquoi ? Je ne sais vraiment pas, d’autant qu’on a des lunettes pour regarder l’éclipse qui viennent d’arriver à l’école.

— M. Simon, est-ce que c’est parce que je suis en première année que je ne comprends pas tout ça ?

— Hélas, non, j’ai 40 ans et je n’y comprends rien moi non plus.

Ce qui m’attriste ici, c’est que personne dans la grande tour de l’éducation ne semble avoir réfléchi d’avance à ce problème qui n’en est pourtant pas un. L’éclipse solaire n’est pas une surprise, il y a longtemps que l’on connaît son existence et personne n’a levé le petit doigt pour planifier quoi que ce soit. Tout cela est à l’image du système, qui est toujours en réaction et non en action. Aucun décideur n’a eu l’idée de profiter de cette journée pour éveiller une certaine curiosité envers la nature et ses mystères ni même de faire un peu d’histoire afin de comprendre ce que pouvait représente­r ce type de phénomène au fil du temps.

En terminant, je me permets une petite observatio­n, à défaut de ne pas pouvoir vivre celle du 8 avril prochain avec mes élèves. Pourquoi ne pas échanger quelques gestionnai­res de l’éducation contre des visionnair­es et, du même coup, espérer que plusieurs élèves ne tombent plus dans la lune ?

« Bon, Sunny, c’est l’heure de sortir ton cahier d’éducation à la citoyennet­é québécoise, nous allons maintenant étudier ce que sont… les vraies valeurs. » (C’est de l’ironie, bien sûr !)

Cette décision, prise unilatéral­ement, sans consulter les profs, sans penser à ce que les élèves veulent vraiment, est un symptôme parmi d’autres de la dérive de notre système d’éducation

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