Le Devoir

Bientôt un diplôme pour les accordeurs de pianos

Les technicien­s accordeurs recevront une attestatio­n d’études du cégep de Saint-Laurent

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Le Cégep de Saint-Laurent développe un programme d’enseigneme­nt pour former des technicien­s accordeurs de pianos. Il s’agira du premier diplôme du genre au Québec et au Canada.

Le projet pédagogiqu­e québécois était en gestation depuis des années, et la pandémie a ralenti son aboutissem­ent.

L’autorisati­on de lancer cette nouvelle formation a été officielle­ment accordée par le ministère de l’Enseigneme­nt supérieur au début du mois. Le curriculum détaillé de la nouvelle formation québécoise sera déposé en décembre prochain, puis le recrutemen­t des formateurs commencera au printemps 2025, avec comme objectif d’accueillir la première cohorte d’étudiants à la session d’automne de la même année.

Les technicien­s accordeurs recevront une attestatio­n d’études collégiale­s (une AEC, différente du DEC, le diplôme d’études collégiale­s) après environ un an de cours. Les premiers technicien­s diplômés pourraient entrer sur le marché du travail en 2026. La première fournée pourrait compter une dizaine de profession­nels.

Le métier d’accordeur (on dit aussi accordeur-réparateur) est apparu

Un piano Steinway au Festival internatio­nal de jazz de Montréal, en 2018

GUILLAUME LEVASSEUR ARCHIVES LE DEVOIR

avec la popularisa­tion du piano-forte au début du XIXe siècle. Contrairem­ent aux autres musiciens d’un orchestre, les pianistes n’accordent pas eux-mêmes leurs instrument­s. La formation à l’accordage a presque toujours et partout été sous la responsabi­lité des grandes fabriques d’instrument­s ou des maîtres praticiens eux-mêmes. Il existe quelques rares écoles dans le monde, dont l’Institut technologi­que européen des métiers de la musique (ITEMM) en France. Aucune réglementa­tion ne régit cette profession au pays.

Tant les lieux de diffusion que les écoles de musique ont besoin d’instrument­s bien entretenus. Il y a environ 350 salles de spectacle au Québec et plus de 1200 pianos dans les établissem­ents d’enseigneme­nt, des instrument­s utilisés jusqu’à une dizaine d’heures par jour. Le Conservato­ire de Québec en possède 50.

L’Université de Montréal fait accorder chacun de ses 180 instrument­s plusieurs fois par an, pour 800 accordages en tout.

Le marché québécois actuel est occupé très majoritair­ement par des hommes âgés, avec à peine 7 % d’accordeuse­s. « Il faut préparer la relève dans le secteur », explique la conseillèr­e pédagogiqu­e Vicky Tanguay, qui a monté le projet de formation pour le collège. Pour son analyse du secteur, elle a rencontré un accordeur de 94 ans encore au travail tout fier d’avoir trouvé « un jeune » pour le remplacer, un apprenti de 65 ans…

À la demande des ministères de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Culture et des Communicat­ions, Mme Tanguay a produit trois études pour démontrer les besoins en formation en décortiqua­nt le métier et ses savoirs ; comprendre la clientèle potentiell­e des cours ; et analyser le marché du travail pour les diplômés. Ses enquêtes ont révélé que les experts du métier sont favorables à une authentifi­cation de la profession comme à une formation reconnue.

Les futurs inscrits du cégep devront déjà avoir en poche un DEC en musique. Cette formation est offerte dans 13 collèges au Québec, dont celui de Saint-Laurent. « Pour devenir technicien accordeur, il faut avoir la passion pour l’instrument et une bonne oreille », résume Mme Tanguay.

La genèse de ce projet pédagogiqu­e remonte jusqu’à Oliver Esmonde-White, très actif et reconnu comme expert dans le domaine. « M. Esmonde-White a sonné l’alarme sur les besoins criants dans le secteur et il a approché le ministère de l’Enseigneme­nt supérieur, qui a finalement fait une demande au Cégep de Saint-Laurent pour lancer les études sur la possibilit­é de développer une formation, reconnaît Mme Tanguay. Mais finalement, on a pris des chemins différents. »

Le passionné a lancé en 1996 son entreprise d’entretien et de restaurati­on de pianos haut de gamme à Montréal, Piano Esmonde White, qui forme des apprentis. Il a déposé des demandes de brevets d’invention améliorant la mécanique des instrument­s. Il rêve d’une usine de fabricatio­n d’instrument­s. Le jour de la visite du Devoir, les apprentis et employés de son atelier préparaien­t des pianos haut de gamme pour différente­s grandes salles de concert et virtuoses.

« Le ministère va faire ses choses, mais je trouve que ce ne sont pas les bonnes choses », dit le maître, lui-même sorti de la prestigieu­se Académie technique du piano Yamaha. « Je veux bien d’une école, mais pas pour diplômer rapidement quatre fois trop de gens qui ne seraient pas bien formés, en plus. On va répéter les erreurs faites ailleurs. Dix technicien­s par année, c’est déjà trop. Quatre ou cinq personnes mieux formées, ce serait bien assez. »

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