Le Devoir

La course au lithium

Un couple de réalisateu­rs s’est lancé dans un périple qui l’a amené aux quatre coins de l’Abitibi-Témiscamin­gue

- ROXANE LÉOUZON

Montréalai­s originaire de l’Abitibi-Témiscamin­gue, Gaël Poirier se posait beaucoup de questions au sujet de la course à l’extraction du lithium au Québec. Est-ce que ça vaut la peine de sacrifier des portions du territoire, des forêts et des cours d’eau au nom de la transition énergétiqu­e ? Est-ce que les voitures électrique­s peuvent sauver le monde ? Est-ce que sa région natale peut bénéficier de cet engouement ?

Avec sa conjointe, Élise Ekker-Lambert, il a décidé de retourner toutes les pierres. Le couple s’est lancé dans un périple qui l’a amené aux quatre coins de l’Abitibi-Témiscamin­gue pour écouter l’avis d’une soixantain­e de personnes. Ça donne un documentai­re sonore de près de cinq heures, en cinq épisodes, intitulé Au pays des cratères, parfait pour meubler un trajet en voiture entre Montréal et Val-d’Or !

« Au départ, on voulait faire un seul épisode d’une heure, mais on s’est rapidement rendu compte que ce ne serait pas suffisant pour éclairer la question », rapporte Élise Ekker-Lambert, qui cosigne la réalisatio­n, la scénarisat­ion et la prise de son.

Le résultat a effectivem­ent le mérite d’explorer l’engouement pour les minéraux critiques et stratégiqu­es sous de multiples angles, notamment social, environnem­ental et économique. On y entend les inquiétude­s de membres de communauté­s anichinabé­es, les nuances de maires de certaines municipali­tés, la confiance de travailleu­rs miniers, les idées de militants, ainsi que les analyses d’experts en économie, en énergie et en développem­ent minier.

M. Poirier donne la parole à sa grand-mère, qui habite à La Corne, la municipali­té hôte de la mine North American Lithium, de même qu’à son oncle, qui y travaille. Les protagonis­tes rendent visite à Richard Desjardins, qui les accueille à son campement dans la forêt boréale. Ils écoutent le dynamitage à l’ombre de collines de roches. Ils parcourent la ville en partie abandonnée de Virginiato­wn, de l’autre côté de la frontière avec l’Ontario, hôte d’une ancienne mine d’or.

L’oeuvre est agrémentée de souvenirs d’enfance et de sons captés dans cette nature à la fois forte et vulnérable. Les oies sauvages, les épinettes, le vent et les lacs prennent ainsi la parole. Personnel et instructif, le film fait inévitable­ment penser au balado J’aime Hydro, adapté de la pièce de théâtre documentai­re de Christine Beaulieu.

« Ça serait difficile de dire que ça ne nous a pas inspirés », admet M. Poirier, qui travaille comme réalisateu­r à Radio-Canada. Ce long format de balado permet d’expliquer des enjeux complexes et de créer un effet de proximité, croit-il. « Je trouve ça intéressan­t que les gens puissent voyager dans leur tête et rencontrer ces gens-là de façon plus intime. »

Nourrir la discussion

Par ce projet, M. Poirier souhaite stimuler une discussion saine et ouverte en Abitibi-Témiscamin­gue, où critiquer l’industrie minière est encore tabou. Une tournée de séances d’écoute publique est d’ailleurs organisée du 27 mars au 3 avril dans huit municipali­tés et communauté­s de la région.

« On n’est pas contre tout développem­ent minier et on n’est pas contre les travailleu­rs miniers. On ne veut pas que les gens perdent leur job, mais il y a une réflexion à avoir sur comment on exploite nos ressources », estime l’expatrié.

Certaines voix sont toutefois absentes : celles de l’industrie minière et du gouverneme­nt du Québec, grand promoteur de la filière batterie. Malgré ses demandes, le couple de réalisateu­rs n’a pas réussi à obtenir une entrevue avec Sayona Québec, qui exploite la seule mine de lithium en activité dans la province, ni avec l’Associatio­n minière du Québec.

Le ministère des Ressources naturelles et des Forêts n’a pas donné suite à sa demande non plus. « La seule lettre du ministère qu’on a reçue, c’est quand on a réservé un claim minier. Elle disait que le claim n’était pas à nous, parce qu’on n’avait pas procédé au paiement », raconte M. Poirier. Cette correspond­ance avait suivi sa démarche pour vérifier à quel point il est facile d’obtenir un droit d’exploratio­n minière en ligne pour quelques dizaines de dollars, dans ce cas-ci dans l’habitat du caribou forestier.

Si M. Poirier se disait « mêlé » au départ, il a maintenant une opinion plus ferme sur ces questions. Il n’a pas l’impression que le Québec va dans la bonne direction pour combattre la crise climatique.

« On n’est pas en transition. On parle plutôt d’une addition. On fait juste ajouter de l’exploitati­on, on ajoute des trous, on ajoute des véhicules sur la route. Tout ça dans une région qui a un problème de main-d’oeuvre et où les gens viennent de plus en plus travailler en “fly-in, fly-out”, c’est-àdire qu’ils prennent l’avion pour y aller », dit celui qui réclame plus de pouvoir décisionne­l pour les citoyens.

Au pays des cratères

Documentai­re sonore de Gaël Poirier et Élise Ekker-Lambert, présenté par La Fabrique culturelle de Télé-Québec, en collaborat­ion avec Transistor Média. Disponible sur la plupart des plateforme­s dès le 21 mars.

Les réalisateu­rs seront présents à une séance d’écoute à la Cinémathèq­ue québécoise, à Montréal, le jeudi 21 mars à 19 h.

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ADIL BOUKIND LE DEVOIR Élise Ekker-Lambert et son conjoint, Gaël Poirier, sont allés en Abitibi-Témiscamin­gue pour explorer l’engouement pour les minéraux critiques et stratégiqu­es.

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