Le « cercle vicieux » de la dégradation des cégeps
Plusieurs élèves et enseignants craignent le pire alors que le financement manque pour entretenir le réseau collégial québécois
La fermeture prolongée d’un pavillon du cégep de Saint-Laurent complexifie le travail de ses enseignants, qui appréhendent que ce sort soit réservé à d’autres ailes de ce bâtiment patrimonial vieillissant. Un cas d’espèce qui témoigne du « cercle vicieux » dans lequel est plongé le réseau collégial du Québec, qui a vu ses besoins financiers en entretien des immeubles passer du simple au double en trois ans, pour atteindre 700 millions de dollars.
« Ça n’a pas de sens qu’un bâtiment de cette valeur patrimoniale, on l’ait laissé se détériorer en raison d’un problème de financement structurel », déplore l’enseignante Jennifer Beaudry, qui est également présidente du bureau du Syndicat des professeurs du cégep de Saint-Laurent. En décembre dernier, l’établissement montréalais a dû fermer de toute urgence son pavillon B.
Depuis, des cloisons ont été levées sur un étage de la bibliothèque afin d’y délimiter quatre salles de classe, le temps que ce pavillon, qui a été barricadé, puisse de nouveau accueillir des étudiants. Or, ce ne sera pas le cas avant un bon moment, concède la responsable des communications du collège, Gabrielle C. Poirier. Les démarches en cours dans ce pavillon, qui compte aussi plusieurs espaces de bureaux, n’en sont encore qu’à l’étape de l’inspection, et le coût des travaux à venir demeure inconnu. Chose certaine, le pavillon B ne sera pas ouvert à temps pour la prochaine rentrée scolaire, l’automne prochain, confirme Mme Poirier.
Ce qui préoccupe particulièrement Jennifer Beaudry, c’est toutefois la perspective que le pavillon A, qui compte de nombreuses salles de classe, soit à son tour évacué, au terme d’inspections qui seront menées cet été dans le bâtiment. La direction du cégep a d’ailleurs rencontré cette semaine ses enseignants afin de discuter avec eux des mesures qui pourraient être mises en place si ce scénario « catastrophe » se concrétise, indique Mme Poirier. Parmi les options envisagées, on compte celle de demander aux enseignants de donner des cours en soirée, jusqu’à 20 h, soit deux heures plus tard que ce que prévoit leur horaire actuel, a appris Le Devoir.
« Ce sont encore les enseignants qui vont devoir s’adapter », soupire Jennifer Beaudry, selon qui « le pire est à venir ». Dans son dernier budget, Québec chiffre à 20,5 millions de dollars le déficit de maintien des actifs dans les immeubles du cégep de Saint-Laurent.
Le cas de ce cégep montréalais, bien que frappant, n’est pas anodin. Dans les dernières années, les cégeps se sont dégradés à un rythme effarant, au point où seulement 35 % des immeubles du réseau collégial québécois sont aujourd’hui considérés comme étant dans un état satisfaisant, un pourcentage qui a chuté de 14 % en deux ans, selon des données publiées dans le cadre de la présentation du dernier budget du Québec. La province se trouve ainsi à la moitié de sa cible, qui est d’avoir 70 % du parc immobilier des cégeps jugé en bon état d’ici mars 2026.
Des problèmes d’infiltration d’eau en passant par ceux liés à l’isolation, à la fenestration et à la plomberie, les désagréments s’accumulent dans les immeubles des 48 cégeps de la province. À tel point que le déficit de maintien des actifs atteint aujourd’hui 700,5 millions de dollars, contre 326,2 millions il y a trois ans à peine, selon des données gouvernementales. À cela s’ajoutent 63 millions de dollars additionnels dont aurait besoin le réseau collégial pour combler divers besoins en matière d’équipements, notamment technologiques.
« C’est sûr qu’on le ressent. On constate de plus en plus des problèmes au niveau des plafonds, des murs et des sols de nos cégeps », lance au Devoir la présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Laurence Mallette-Léonard. « C’est important d’agir rapidement, parce que ce sont les étudiants actuels qui souffrent de la dégradation de nos cégeps », souligne-t-elle.
Malgré l’augmentation des besoins, le financement affecté au maintien des actifs immobiliers du réseau collégial, lui, stagne, déplore la Fédération des cégeps. Celle-ci précise que le financement prévu à cet effet s’élève à 107,5 millions de dollars dans le dernier budget, soit la même somme que l’an dernier.
« On voit que les infrastructures des écoles primaires et secondaires se sont améliorées. Les infrastructures du réseau universitaire aussi. Le réseau qui est le plus mal en point, c’est le réseau collégial », lance Bernard Tremblay, président-directeur général de la Fédération des cégeps, selon qui le dernier budget provincial néglige les besoins en matière d’entretien et de mise à niveau des cégeps.
« Un cercle vicieux » en région
Le contexte financier actuel touche d’ailleurs particulièrement les 12 membres du Regroupement des cégeps de régions, qui doivent composer avec des défis de rétention de leurs étudiants, tentés par les grands centres, ce qui plombe encore davantage leur capacité à bien entretenir leurs immeubles, relève son président, Sylvain Gaudreault. Les cégeps de Chicoutimi et de Rimouski figurent d’ailleurs parmi les trois établissements collégiaux accumulant le plus grand déficit de maintien de leurs immeubles au Québec, tandis que le cégep de Jonquière occupe la huitième place de ce triste palmarès (voir autre texte).
« C’est comme un cercle vicieux, dans le sens que si on veut attirer des étudiants dans les cégeps en région, il faut qu’on ait des infrastructures de qualité », souligne M. Gaudreault, qui est aussi directeur général du cégep de Jonquière. Cependant, les fonds manquent actuellement pour permettre les travaux d’entretien et de mise à niveau dans ces établissements, qui sont aux prises avec une baisse de leur population étudiante.
« On est un peu pris à la gorge pour maintenir nos actifs, mais aussi faire des investissements pour être capables d’être compétitifs, d’être à jour et d’attirer de nouveaux étudiants », poursuit Sylvain Gaudreault, selon qui le modèle de financement de Québec « ne répond plus aux besoins des cégeps en région ».
Par courriel, le ministère de l’Enseignement supérieur souligne que « la hausse importante des coûts de construction des dernières années a obligé plusieurs établissements à reporter la réalisation de certains travaux d’entretien ». Il indique toutefois qu’il prévoit investir 2,1 milliards au cours des 10 prochaines années afin de « combler une portion du déficit de maintien d’actifs » dans les cégeps de la province.