L’enfant cobaye
Je m’étonne toujours de la légèreté avec laquelle on traite parfois le comité des sages mis sur pied par le gouvernement québécois pour le conseiller sur les questions touchant à l’identité de genre. Il y a bien sûr la question de sa composition. Mais j’ai l’impression que le mot « sage » met parfois à mal notre vision égalitariste des choses. Comme si certains n’étaient pas plus raisonnables que d’autres.
Chose certaine, l’initiative québécoise est on ne peut plus à propos au moment où l’on voit se développer, tout particulièrement en Europe, un vaste mouvement de réflexion sur cette frénésie qui, à l’initiative de groupes militants, s’est emparée du monde médical depuis quelques années pour pratiquer ce que l’on nomme des « transitions de genre ».
De la France à la Suède, en passant par le RoyaumeUni et la Finlande, les gouvernements s’interrogent sur cette pratique qui consiste à médicaliser à toute vitesse des enfants, qui sont en majorité des filles, pour bloquer leur puberté, leur injecter des hormones et pratiquer des amputations afin de tenter de leur donner l’apparence de l’autre sexe. Le sexe étant malheureusement chez les mammifères, comme le disait le grand primatologue Frans de Waal décédé cette semaine, une donnée biologique incontournable.
Dès le mois de mai, les sénateurs français devraient être saisis de cette question à la suite d’un volumineux rapport soumis cette semaine par une sénatrice républicaine. Le groupe de travail, dirigé par Jacqueline EustacheBrinio, estime qu’il s’agit d’« un des plus grands scandales éthiques de l’histoire de la médecine ».
Les sénateurs français devraient se prononcer sur l’interdiction aux mineurs des bloqueurs de puberté et des interventions dites « de réassignation sexuelle ». Dans un sondage maison mené par le Journal international de médecine (JIM), 84 % des 1034 professionnels de la santé interrogés ont répondu qu’ils étaient favorables à l’interdiction des traitements hormonaux pour les mineurs transgenres.
Ce rapport survient une semaine après que, le 12 mars dernier, le National Health Service britannique a décidé d’interdire la prescription aux adolescents des bloqueurs de puberté. Le ministère de la Santé s’est félicité de cette décision, estimant que « les soins doivent être fondés sur des preuves » et que ce n’était pas le cas.
L’an dernier, la plus ancienne clinique britannique destinée aux enfants éprouvant ce qu’on appelle une « dysphorie de genre », celle du centre hospitalier Tavistock à Londres, fermait ses portes. Dès 2018, le psychiatre David Bell s’était inquiété de l’influence qu’y exerçaient des militants « hautement politisés », mais surtout des « dommages à long terme » que pouvaient provoquer ces traitements sur des enfants de plus en plus jeunes, dont le nombre est passé de 97 à 2748 en dix ans (dont 68 % de filles). Des traitements souvent administrés après seulement une ou deux rencontres médicales.
Ces dérapages ont été révélés au grand jour lors de la poursuite intentée en 2019 par Keira Bell, qui accusait la clinique de lui avoir prescrit des bloqueurs de puberté, suivis d’une mastectomie, à un âge où elle ne pouvait prendre une telle décision. La jeune femme perdit en appel, mais la vérité était sortie du sac. Un rapport de l’ancienne présidente du Royal College of Paediatric and Child Health, Hilary Cass, conclura à l’absence presque complète de recherches « sur les conséquences à court, moyen et long terme des bloqueurs de puberté sur le développement neurocognitif ».
L’an dernier, l’enquête magistrale de la journaliste Hannah Barnes (Time to Think) a levé le voile sur ce que la Dre Anna Hutchinson qualifie en conclusion du livre de véritable « scandale médical ». Barnes démontre que, si certains sont satisfaits de leur traitement, d’autres ont sombré dans la dépression, sont devenus stériles, ont connu des problèmes de croissance, des fonctions sexuelles ou de la masse osseuse. De là à dire que ces enfants ont servi de cobayes, il n’y a qu’un pas.
Même le pays qui fut l’un des pionniers dans le domaine, la Suède, fait aujourd’hui marche arrière. Depuis 2021, le prestigieux hôpital Karolinska, de Stockholm, refuse tout traitement hormonal aux mineurs au nom du principe de précaution, à l’exception de la recherche clinique. L’hôpital estime que ces traitements, qu’elle qualifie d’« expérimentaux », souffrent d’« un manque de fondements ». Les médecins suédois se disent aussi incapables d’expliquer
« la forte augmentation du nombre d’adolescents présentant une dysphorie de genre ces dernières années ». Leur nombre a crû de 1500 % chez les filles de 13 à 17 ans entre 2008 et 2018. Une progression que plusieurs attribuent à un phénomène de mode accentué par les réseaux sociaux.
En 2020, la Finlande décidait elle aussi de donner la priorité « aux interventions et au soutien psychologiques par rapport aux interventions médicales ». Un soutien dont on peut se demander s’il ne serait pas illégal au Canada, où la loi C-4 a interdit les thérapies visant à modifier non seulement l’orientation sexuelle, mais aussi l’identité de genre d’une personne.
Dans les pays européens, la question est dorénavant posée. Il n’y a « pas de preuves de l’efficacité » de ces traitements sur la qualité de vie des patients et il n’y en aura pas avant longtemps, disait le chef du service de chirurgie reconstructrice et esthétique de l’hôpital Georges Pompidou, Laurent Lantieri. La raison est simple : « il n’y a aucun essai randomisé » envisageable, dit-il.
Reste la question éthique. Comment justifier la médication à vie pour des enfants de même que la mutilation d’êtres humains, fussent-ils majeurs, à qui l’on retire des organes parfaitement fonctionnels ? Tout cela à un moment où les adolescents sont aussi vulnérables qu’un homard qui perd sa carapace et doit s’en fabriquer une nouvelle, disait la psychanalyste Françoise Dolto.
En Europe, le vent est en train de tourner. Au lieu d’un comité de sages, une commission d’enquête aurait peut-être été plus indiquée.