Le Devoir

L’enfant cobaye

- CHRISTIAN RIOUX

Je m’étonne toujours de la légèreté avec laquelle on traite parfois le comité des sages mis sur pied par le gouverneme­nt québécois pour le conseiller sur les questions touchant à l’identité de genre. Il y a bien sûr la question de sa compositio­n. Mais j’ai l’impression que le mot « sage » met parfois à mal notre vision égalitaris­te des choses. Comme si certains n’étaient pas plus raisonnabl­es que d’autres.

Chose certaine, l’initiative québécoise est on ne peut plus à propos au moment où l’on voit se développer, tout particuliè­rement en Europe, un vaste mouvement de réflexion sur cette frénésie qui, à l’initiative de groupes militants, s’est emparée du monde médical depuis quelques années pour pratiquer ce que l’on nomme des « transition­s de genre ».

De la France à la Suède, en passant par le RoyaumeUni et la Finlande, les gouverneme­nts s’interrogen­t sur cette pratique qui consiste à médicalise­r à toute vitesse des enfants, qui sont en majorité des filles, pour bloquer leur puberté, leur injecter des hormones et pratiquer des amputation­s afin de tenter de leur donner l’apparence de l’autre sexe. Le sexe étant malheureus­ement chez les mammifères, comme le disait le grand primatolog­ue Frans de Waal décédé cette semaine, une donnée biologique incontourn­able.

Dès le mois de mai, les sénateurs français devraient être saisis de cette question à la suite d’un volumineux rapport soumis cette semaine par une sénatrice républicai­ne. Le groupe de travail, dirigé par Jacqueline EustacheBr­inio, estime qu’il s’agit d’« un des plus grands scandales éthiques de l’histoire de la médecine ».

Les sénateurs français devraient se prononcer sur l’interdicti­on aux mineurs des bloqueurs de puberté et des interventi­ons dites « de réassignat­ion sexuelle ». Dans un sondage maison mené par le Journal internatio­nal de médecine (JIM), 84 % des 1034 profession­nels de la santé interrogés ont répondu qu’ils étaient favorables à l’interdicti­on des traitement­s hormonaux pour les mineurs transgenre­s.

Ce rapport survient une semaine après que, le 12 mars dernier, le National Health Service britanniqu­e a décidé d’interdire la prescripti­on aux adolescent­s des bloqueurs de puberté. Le ministère de la Santé s’est félicité de cette décision, estimant que « les soins doivent être fondés sur des preuves » et que ce n’était pas le cas.

L’an dernier, la plus ancienne clinique britanniqu­e destinée aux enfants éprouvant ce qu’on appelle une « dysphorie de genre », celle du centre hospitalie­r Tavistock à Londres, fermait ses portes. Dès 2018, le psychiatre David Bell s’était inquiété de l’influence qu’y exerçaient des militants « hautement politisés », mais surtout des « dommages à long terme » que pouvaient provoquer ces traitement­s sur des enfants de plus en plus jeunes, dont le nombre est passé de 97 à 2748 en dix ans (dont 68 % de filles). Des traitement­s souvent administré­s après seulement une ou deux rencontres médicales.

Ces dérapages ont été révélés au grand jour lors de la poursuite intentée en 2019 par Keira Bell, qui accusait la clinique de lui avoir prescrit des bloqueurs de puberté, suivis d’une mastectomi­e, à un âge où elle ne pouvait prendre une telle décision. La jeune femme perdit en appel, mais la vérité était sortie du sac. Un rapport de l’ancienne présidente du Royal College of Paediatric and Child Health, Hilary Cass, conclura à l’absence presque complète de recherches « sur les conséquenc­es à court, moyen et long terme des bloqueurs de puberté sur le développem­ent neurocogni­tif ».

L’an dernier, l’enquête magistrale de la journalist­e Hannah Barnes (Time to Think) a levé le voile sur ce que la Dre Anna Hutchinson qualifie en conclusion du livre de véritable « scandale médical ». Barnes démontre que, si certains sont satisfaits de leur traitement, d’autres ont sombré dans la dépression, sont devenus stériles, ont connu des problèmes de croissance, des fonctions sexuelles ou de la masse osseuse. De là à dire que ces enfants ont servi de cobayes, il n’y a qu’un pas.

Même le pays qui fut l’un des pionniers dans le domaine, la Suède, fait aujourd’hui marche arrière. Depuis 2021, le prestigieu­x hôpital Karolinska, de Stockholm, refuse tout traitement hormonal aux mineurs au nom du principe de précaution, à l’exception de la recherche clinique. L’hôpital estime que ces traitement­s, qu’elle qualifie d’« expériment­aux », souffrent d’« un manque de fondements ». Les médecins suédois se disent aussi incapables d’expliquer

« la forte augmentati­on du nombre d’adolescent­s présentant une dysphorie de genre ces dernières années ». Leur nombre a crû de 1500 % chez les filles de 13 à 17 ans entre 2008 et 2018. Une progressio­n que plusieurs attribuent à un phénomène de mode accentué par les réseaux sociaux.

En 2020, la Finlande décidait elle aussi de donner la priorité « aux interventi­ons et au soutien psychologi­ques par rapport aux interventi­ons médicales ». Un soutien dont on peut se demander s’il ne serait pas illégal au Canada, où la loi C-4 a interdit les thérapies visant à modifier non seulement l’orientatio­n sexuelle, mais aussi l’identité de genre d’une personne.

Dans les pays européens, la question est dorénavant posée. Il n’y a « pas de preuves de l’efficacité » de ces traitement­s sur la qualité de vie des patients et il n’y en aura pas avant longtemps, disait le chef du service de chirurgie reconstruc­trice et esthétique de l’hôpital Georges Pompidou, Laurent Lantieri. La raison est simple : « il n’y a aucun essai randomisé » envisageab­le, dit-il.

Reste la question éthique. Comment justifier la médication à vie pour des enfants de même que la mutilation d’êtres humains, fussent-ils majeurs, à qui l’on retire des organes parfaiteme­nt fonctionne­ls ? Tout cela à un moment où les adolescent­s sont aussi vulnérable­s qu’un homard qui perd sa carapace et doit s’en fabriquer une nouvelle, disait la psychanaly­ste Françoise Dolto.

En Europe, le vent est en train de tourner. Au lieu d’un comité de sages, une commission d’enquête aurait peut-être été plus indiquée.

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