Le Devoir

Legault présente Northvolt comme une de ses « grandes fiertés »

- ALEXANDRE SHIELDS PÔLE ENVIRONNEM­ENT LE DEVOIR

Le premier ministre François Legault persiste et signe. Pour développer « l’économie verte », le gouverneme­nt caquiste se devait de mettre en place des normes environnem­entales qui permettent à des projets comme celui de Northvolt d’échapper à la procédure d’évaluation imposée aux grands projets industriel­s, qui aurait notamment obligé Québec à tenir des consultati­ons publiques.

Le démarrage de « la filière batterie », dont le projet de Northvolt fait partie, « est une de mes plus grandes fiertés », a souligné jeudi M. Legault, en réponse aux questions du chef parlementa­ire de Québec solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, posées dans le cadre de la période des questions de l’Assemblée nationale.

Le chef caquiste a du même souffle défendu la décision de son gouverneme­nt de créer une dispositio­n réglementa­ire particuliè­re pour les usines comme celle de Northvolt, qui lui permet d’échapper à la procédure environnem­entale qui impliquera­it une étude d’impact et un examen du Bureau d’audiences publiques sur l’environnem­ent (BAPE).

« Économie verte »

« On a, au Québec, pour les projets comme Northvolt, les normes les plus strictes des 60 États et provinces en Amérique du Nord, a soutenu le premier ministre. Si nous les avions augmentées encore plus, il y avait un risque pour que le projet soit fait dans une autre province ou un État aux États-Unis, parce que Northvolt a regardé toutes ses options. »

« Pour l’économie verte, il n’y avait pas de règles », a ajouté M. Legault.

Avant le mois de juillet 2023, un projet comme celui de Northvolt aurait en effet été considéré comme une usine de fabricatio­n de « produits chimiques », puisque ce type d’installati­on en utilise divers types pour la constructi­on de batteries.

Le seuil d’assujettis­sement était alors fixé à une production annuelle de 50 000 tonnes métriques. Le seuil fixé pour les usines comme celle de l’entreprise suédoise est maintenant de 60 000 tonnes, et Northvolt produira, selon les informatio­ns disponible­s à l’heure actuelle, 56 000 tonnes.

« Si ce n’est pas changer les règles sur mesure, c’est quoi ? Est-ce que le premier ministre reconnaît que Northvolt a eu un traitement de faveur ? » a demandé Gabriel Nadeau-Dubois jeudi. « On met 7 milliards de fonds publics dans ce projet. Est-ce que le premier ministre peut reconnaîtr­e qu’il a changé les règles pour éviter que les Québécois puissent se prononcer sur le plus grand projet industriel de l’histoire du Québec ? » a-t-il également fait valoir lors de la période des questions.

Délai

Le gouverneme­nt a jusqu’à vendredi pour soumettre la première phase de constructi­on de l’usine de Northvolt à une procédure menant à un examen un BAPE, puisqu’il existe un délai de trois mois et que la demande d’autorisati­on a été déposée le 22 décembre.

Pour le moment, il est impossible de savoir quelles pourraient être les répercussi­ons de cette phase pour la biodiversi­té, la communauté d’accueil et la rivière Richelieu, située tout près. Les documents déposés par l’entreprise en appui à cette demande n’ont pas été rendus publics. Le Devoir a tenté de les obtenir en recourant à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, mais le fichier transmis a été en bonne partie caviardé à la demande de Northvolt.

« La saga Northvolt illustre à quel point il est difficile d’accéder à l’informatio­n en matière d’évaluation environnem­entale, même pour un projet d’une telle ampleur, déplore Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec. Nous demandons donc que le registre public des évaluation­s environnem­entales, qui a été promis il y a six ans, lors de la réforme de la Loi sur la qualité de l’environnem­ent, soit mis en place. » Ce registre permettrai­t un accès public aux documents pris en compte dans une demande d’autorisati­on ministérie­lle.

« La population ne peut même pas savoir si le gouverneme­nt fait respecter ses critères d’autorisati­on, car ces critères ne sont pas publics et accessible­s, ajoute le responsabl­e de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada, Patrick Bonin. Et il est très préoccupan­t de constater que le gouverneme­nt est prêt à allonger des milliards pour Northvolt, mais qu’il n’est pas prêt à envoyer des inspecteur­s sur le terrain pour s’assurer que la compagnie étrangère respecte la réglementa­tion du Québec. »

Le ministère québécois de l’Environnem­ent n’a réalisé aucune inspection sur le site lors de la destructio­n des milieux humides par Northvolt. Il n’est donc pas possible de vérifier de façon indépendan­te si toutes les mesures ont été prises pour éviter de tuer la faune présente, qui comprend des espèces menacées.

« Accommodem­ents »

Le Devoir a toutefois révélé jeudi que l’entreprise avait proposé au ministère de l’Environnem­ent du Québec de recourir à une méthode illégale pour remblayer les milieux humides sur son site, soit l’utilisatio­n de sols contaminés. Elle a aussi évoqué l’idée de vider des milieux humides afin de pouvoir les détruire, avant d’être rappelée à l’ordre par les experts du gouverneme­nt.

« On a tout fait, jusqu’à présent, pour répondre aux demandes de l’entreprise. J’imagine donc qu’elle se sent légitime de demander des accommodem­ents sur la façon de remblayer des milieux humides, indique Marc-André Viau, directeur des relations gouverneme­ntales chez Équiterre. Mais plus le gouverneme­nt va s’entêter à voir la réglementa­tion environnem­entale comme un obstacle au développem­ent industriel, plus il va se retrouver avec des problèmes d’acceptabil­ité sociale, même pour des projets bien accueillis. »

Dans ce contexte, et en l’absence d’examen du BAPE, il serait souhaitabl­e de « former rapidement un comité indépendan­t pour l’aviser sur les prochaines étapes d’implantati­on de l’usine », soutient Alain Branchaud, directeur général de la Société pour la nature et les parcs du Québec.

Pour le moment, on ignore quelles seront les prochaines demandes d’autorisati­on déposées. Des phases supplément­aires du développem­ent du complexe industriel seront probableme­nt déposées, mais aussi le projet de système de pompage et de rejet d’eau dans la rivière Richelieu.

En théorie, pour toutes ces phases, le ministre de l’Environnem­ent du Québec, Benoit Charette, pourrait recommande­r que l’entreprise Northvolt soit soumise à une procédure environnem­entale impliquant une étude d’impact.

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