Le Devoir

La mauvaise cible

- MARIE VASTEL

L’inquiétant­e violence ciblant les élus, tous partis confondus, est presque devenue un triste passage obligé. Les menaces se multiplien­t, leur agressivit­é aussi. Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, n’y a malheureus­ement pas échappé et en est bien naturellem­ent bouleversé. Le désarroi qu’il a exhibé lorsqu’on l’a invité à en discuter n’avait rien d’étonnant.

Mais en voulant gommer cette première réaction, empreinte d’émotion et de l’authentici­té qui pourtant lui sied, le chef péquiste a fait fausse route.

M. St-Pierre Plamondon s’est ainsi joint au tir groupé de politicien­s mené contre la presse depuis quelque temps, en reprochant dans son cas aux journalist­es d’avoir manqué de sensibilit­é à son égard. Jamais, estime-t-il, il n’aurait dû être invité à commenter les menaces ayant mené à l’arrestatio­n d’un suspect. Jamais non plus les médias n’auraient dû diffuser les images du chef péquiste interrompa­nt sa réponse sous le coup de l’émotion. La reprise de cette même réponse, quelques minutes plus tard, aurait dû leur suffire, soutient M. St-Pierre Plamondon. Les journalist­es ont au contraire manqué de respect pour sa vie privée, d’éthique et d’humanité, a-t-il dénoncé sur les réseaux sociaux.

Les menaces de mort ciblant le chef péquiste et sa jeune famille sont inacceptab­les. M. St-Pierre Plamondon est tout à fait en droit de vouloir les encaisser en privé, avec ses proches. Il a cependant fait le choix de se joindre vendredi dernier à une conférence de presse sur la refonte de la carte électorale. Et de tenir, à la suite de ces 39 minutes d’échanges, une seconde mêlée de presse. M. St-Pierre Plamondon prétend que les journalist­es présents avaient été prévenus de ne pas lui parler de ces menaces — ce que réfute l’un des journalist­es qui étaient sur place.

La diffusion en boucle par certains médias d’images du chef péquiste en proie à l’émotion, s’essuyant le coin de l’oeil, était discutable. La charge menée contre l’ensemble de la presse par un aspirant premier ministre l’est toutefois tout autant. Il ne revient pas aux politicien­s de décider des questions qui leur seront posées, pas plus que de déterminer quels extraits de leurs propos seront retenus.

Naturellem­ent ébranlé, M. St-Pierre Plamondon aurait pu refuser de commenter la situation. Ou tout simplement de ne pas se présenter devant les caméras. Mais il lui aurait alors fallu renoncer à critiquer le premier ministre François Legault à l’issue de sa rencontre avec Justin Trudeau.

Le chef péquiste erre en outre en invoquant le respect de sa vie privée. La sphère médiatique québécoise n’exhibe pas la vie conjugale ou l’état de santé des élus. L’agressivit­é croissante dont toute la classe politique est victime, dans tous les ordres de gouverneme­nt, est cependant d’une autre nature et s’inscrit dans un inquiétant phénomène de société qu’il ne faut pas taire. M. St-Pierre Plamondon, dont la prédécesse­ure, Pauline Marois, a été victime d’un attentat le soir de son élection, devrait le reconnaîtr­e.

Plus de 200 élus provinciau­x ont reçu comme lui des propos menaçants ou des menaces directes l’an dernier. Une baisse de moitié par rapport aux 396 incidents signalés à la Sûreté du Québec en 2021, mais un chiffre qui demeure beaucoup trop élevé. Passer sous silence cette intimidati­on serait faire l’erreur d’y céder et de la normaliser.

À l’ère du doute et de la désinforma­tion, suggérer qu’un chef de parti (et aspirant premier ministre, de surcroît) puisse influencer sa propre couverture médiatique — et, pour ce faire, être de connivence avec la médiasphèr­e — ne risque que d’exacerber ce déficit de confiance. À peine 50 % de la population se fie encore aux journalist­es, 44 % aux gouverneme­nts et 33 % aux leaders politiques, selon l’institut de recherche par sondages Environics.

Les médias ne sont certaineme­nt pas au-dessus de tout reproche. Mais la mode semble être à leur admonition pour certains politicien­s soucieux de s’extirper de l’embarras en usant d’une telle diversion. Le ministre caquiste de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, y est ainsi allé d’une lettre ouverte pour défendre le projet Northvolt. Le chef conservate­ur fédéral, Pierre Poilievre, s’en prend régulièrem­ent aux scribes sur les réseaux sociaux ou en point de presse. Une forme d’intimidati­on qui n’aide en rien la confiance citoyenne et la démocratie.

Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’est attiré les moqueries en chantant une pièce complète des Cowboys Fringants. La mairesse de Montréal, Valérie Plante, a quant à elle été filmée s’évanouissa­nt d’épuisement. Dans les deux cas, les images ont abondammen­t circulé. Dans ni l’un ni l’autre, l’élu ou son entourage n’ont senti le besoin de s’en prendre aux médias pour contre-attaquer.

L’élan électoral de M. St-Pierre Plamondon semble se confirmer, à en croire le dernier coup de sonde de Léger. Tôt ou tard, s’il veut arborer les habits de premier ministre en attente, le chef péquiste devra apprendre à composer avec l’entièreté de son rôle public.

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