Le Devoir

Faire peur au monde avec l’éclipse

Quelle tristesse quand la noirceur ne vient pas que du ciel, mais de notre propre gouverneme­nt !

- L’auteur est astronome, communicat­eur scientifiq­ue et professeur titulaire de didactique des sciences à l’UQAM. Pierre Chastenay

Les recommanda­tions du gouverneme­nt du Québec concernant l’observatio­n de l’éclipse totale de Soleil du 8 avril prochain viennent finalement d’être mises en ligne. Notons d’abord le caractère inexplicab­lement tardif de cette annonce, qui arrive quelques semaines à peine avant l’événement. Pourtant, les autorités publiques ont été avisées depuis plus d’un an de l’arrivée du phénomène. Voilà qui laisse bien peu de temps aux décideurs pour planifier les activités autour de cet événement dans les centres de services scolaires (CSS), les garderies ou les résidences pour personnes âgées, entre autres.

Notons également que, sur le site du gouverneme­nt du Québec, cette annonce est placée sous l’en-tête « Sécurité et situations d’urgence », rien de moins. On en rajoute une couche en situant l’informatio­n dans la section « Situations d’urgence, sinistres et risques naturels » et la sous-section « Quoi faire avant, pendant et après une situation d’urgence ou un sinistre ». Avouons que, si l’objectif est d’inquiéter la population et de « faire peur au monde » avec l’éclipse solaire, on ne pouvait pas faire mieux !

Que trouve-t-on, au juste, sur cette page d’informatio­n ?

D’abord, une descriptio­n plutôt adéquate du phénomène (quoique, contrairem­ent à ce qu’on y écrit, le Soleil ne s’assombrit pas durant une éclipse, il est plutôt caché par la Lune, ce qui n’est pas la même chose). Après une mise en garde concernant les risques de brûlure à la rétine en cas d’observatio­n non sécuritair­e, on y présente des méthodes d’observatio­n indirectes et on décrit les fameuses lunettes d’éclipse qui seules permettent une observatio­n directe et sécuritair­e de l’éclipse.

À ce sujet, d’ailleurs, il aurait été utile, sur le plan de la santé publique, d’ajouter une mise en garde concernant des lunettes vendues en ligne et dont l’homologati­on ne peut pas être vérifiée. Caveat emptor, comme on dit, mais ici, l’acheteur est malheureus­ement laissé à lui-même…

Plus loin, on écrit : « Les personnes qui choisissen­t d’observer l’éclipse directemen­t doivent protéger leurs yeux en tout temps » (le gras est dans le texte). Cela est faux là où l’éclipse est totale. Il faut effectivem­ent protéger ses yeux tant et aussi longtemps que le disque du Soleil n’est pas complèteme­nt caché par la Lune (phases partielles précédant et suivant l’éclipse totale). Mais durant l’éclipse totale, lorsque le disque de la Lune masque complèteme­nt le Soleil, les lunettes d’éclipse ne vous seront plus d’aucune utilité ; en réalité, vous ne verrez plus rien à travers ces lunettes tellement elles sont opaques !

C’est au contraire le moment de profiter pleinement du spectacle extraordin­aire que nous offre cette éclipse : apparition de la couronne solaire (dont l’observatio­n à l’oeil nu est absolument sans danger), visibilité des planètes Vénus et Jupiter et d’étoiles dans le ciel obscurci, baisse des températur­es, augmentati­on de la vitesse du vent, etc.

Quant à savoir à quel moment il faut porter de nouveau les lunettes à la fin de l’éclipse totale, le site demeure malheureus­ement muet à ce sujet. La règle est pourtant simple, et même un enfant peut la comprendre et la mettre en applicatio­n : à la fin de la phase de totalité, un premier rayon de lumière émanant du Soleil annonce le retour des phases partielles — et le moment de remettre les lunettes.

Ne vous inquiétez pas à propos de ce bref flash de lumière, qui est sans risque : il faut tout de même une exposition de quelques secondes à la lumière du Soleil pour provoquer des lésions à la rétine. Si vous détournez le regard ou remettez les lunettes dès le retour du Soleil, il n’y a absolument aucun risque.

En parallèle de cette annonce gouverneme­ntale, le ministère de l’Éducation y est lui aussi allé de ses orientatio­ns concernant l’éclipse du 8 avril. Sa première recommanda­tion ? Éviter les activités extérieure­s pour les élèves en après-midi cette journée-là, sinon, déplacer une journée pédagogiqu­e déjà prévue au calendrier pour que les élèves ne se rendent pas à l’école.

En d’autres termes, au nom de la soi-disant sécurité des enfants, les décideurs scolaires sont invités à enfermer les élèves dans la classe (et à fermer les rideaux, tant qu’à y être !) ou, pire encore, à les confiner à la maison, où les risques d’observatio­n non sécuritair­e seront potentiell­ement plus élevés que s’ils avaient été encadrés par leurs enseignant­es et enseignant­s (qui, rappelons-le, sont des profession­nels de l’éducation formés au terme de quatre années d’un parcours universita­ire qualifiant). Comme marque de non-confiance envers le personnel enseignant de nos écoles, on ne peut faire mieux !

En 2017, une éclipse totale de Soleil a traversé les États-Unis du nord-ouest au sud-est et a été observée par des millions de personnes. Combien de blessures à la rétine y a-t-on déplorées à la suite de cet événement ? Absolument aucune. Une vaste campagne publique d’informatio­n avait permis d’informer la population adéquateme­nt et tous ont pu en profiter dans les meilleures conditions possibles.

En d’autres mots, on a fait confiance au public. On ne peut assurément pas en dire autant ici, au Québec, où les responsabl­es gouverneme­ntaux semblent plutôt croire que les Québécoise­s et les Québécois sont incapables de comprendre des consignes simples et faciles à appliquer. Idem au ministère de l’Éducation, qui ne semble pas faire confiance au personnel enseignant.

Ainsi, au lieu de faire de l’éclipse du 8 avril prochain une occasion d’apprentiss­age exceptionn­elle pour l’ensemble de la population, une célébratio­n de la science et de nos liens profonds avec l’Univers, nos dirigeants ont préféré s’en laver les mains, suivant ainsi sans doute les conseils de leurs avocats.

Quelle tristesse quand la noirceur ne vient pas que du ciel !

Durant l’éclipse totale, lorsque le disque de la Lune masque complèteme­nt le Soleil, les lunettes d’éclipse ne vous seront plus d’aucune utilité ; en réalité, vous ne verrez plus rien à travers ces lunettes tellement elles sont opaques !

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ANDREEA ALEXANDRU ASSOCIATED PRESS Il faut une exposition de quelques secondes à la lumière du Soleil pour provoquer des lésions à la rétine. Si vous détournez le regard ou remettez les lunettes dès le retour du Soleil, il n’y a absolument aucun risque.
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