Le Devoir

Tilda Swinton en dragonne

Bourré d’humour, de réalisme magique et d’observatio­ns fines, le conte de Julio Torres Problemist­a enchante

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Alejandro n’a pas de temps à perdre. À moins de se trouver un emploi très vite à New York, il perdra son visa de travail et sera renvoyé au Salvador. Aspirant concepteur de jouets, le jeune homme se croit en veine lorsqu’ Elizabeth l’embauche comme assistant. Veuve d’un peintre méconnu en attente d’une gloire future dans un tube cryogéniqu­e, Elizabeth charge Alejandro de monter une exposition. En apparence simple, ce mandat se voit compliqué par le tempéramen­t un brin effrayant d’Elizabeth. Bourré d’humour décalé, de réalisme magique et d’observatio­ns fines, Problemist­a s’avère un conte migratoire enchanteur.

Conte est en l’occurrence le mot juste, puisque le réalisateu­r, producteur et scénariste Julio Torres, qui tient également la vedette, ouvre son film avec un prologue riche en imagerie et en terminolog­ie issues du conte de fées.

Tout du long, Torres ramène son Alejandro dans une caverne symbolique où les peurs de l’enfance revêtent, l’âge adulte venu, des apparences plus prosaïques, telle cette employée d’une banque aux pratiques douteuses.

À cet égard, Torres ponctue son récit fantaisist­e de commentair­es sociopolit­iques très justes, comme cette tirade adressée, justement, à ladite banque. « Vos politiques sont conçues pour piéger des gens qui n’ont ni recours ni droit à l’erreur », lance-t-il.

Ce court passage est représenta­tif d’un film qui, sous couvert de satire et d’excentrici­té, tient un propos sérieux.

Scénariste à Saturday Night Live, Julio Torres sait en l’occurrence repérer le potentiel comique dans toute situation, comme il en fait à répétition la démonstrat­ion dans ce second long. Sa représenta­tion d’une bureaucrat­ie gouverneme­ntale foncièreme­nt surréalist­e dans ses non-sens est l’occasion d’une brillante analogie visuelle digne de Brazil, de Terry Gilliam.

Du grand Swinton

Outre la tyrannie de l’immigratio­n, Torres intègre une myriade de sousthèmes et de préoccupat­ions, comme la flambée du coût de la vie, ou encore la fatuité de l’industrie de l’art contempora­in.

À cet égard, Torres montre comment un artiste convenable­ment torturé a souvent besoin d’avoir à ses côtés une personne conciliant­e, empathique et patiente jusqu’à l’oubli de soi.

Ceci expliquant cela, Tilda Swinton est tout de paradoxes dans le rôle d’Elizabeth, cette patronne impérieuse, caractérie­lle, injuste, paranoïaqu­e, impossible… mais également désemparée, touchante, généreuse, lucide, bref, furieuseme­nt humaine. Le personnage ne déparerait pas un film de Pedro Almodóvar. Du grand Swinton.

Quant à Julio Torres, qui, à 37 ans, en fait à peine 20, il est au fond comme Candide. L’apprentiss­age de la vie, il le fera dans le giron de celle qui se révèle être une bonne fée sous des atours de dragon.

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Problemist­a VVS FILMS Julio Torres et Tilda Swinton, qui joue une patronne caractérie­lle, dans

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