Tilda Swinton en dragonne
Bourré d’humour, de réalisme magique et d’observations fines, le conte de Julio Torres Problemista enchante
Alejandro n’a pas de temps à perdre. À moins de se trouver un emploi très vite à New York, il perdra son visa de travail et sera renvoyé au Salvador. Aspirant concepteur de jouets, le jeune homme se croit en veine lorsqu’ Elizabeth l’embauche comme assistant. Veuve d’un peintre méconnu en attente d’une gloire future dans un tube cryogénique, Elizabeth charge Alejandro de monter une exposition. En apparence simple, ce mandat se voit compliqué par le tempérament un brin effrayant d’Elizabeth. Bourré d’humour décalé, de réalisme magique et d’observations fines, Problemista s’avère un conte migratoire enchanteur.
Conte est en l’occurrence le mot juste, puisque le réalisateur, producteur et scénariste Julio Torres, qui tient également la vedette, ouvre son film avec un prologue riche en imagerie et en terminologie issues du conte de fées.
Tout du long, Torres ramène son Alejandro dans une caverne symbolique où les peurs de l’enfance revêtent, l’âge adulte venu, des apparences plus prosaïques, telle cette employée d’une banque aux pratiques douteuses.
À cet égard, Torres ponctue son récit fantaisiste de commentaires sociopolitiques très justes, comme cette tirade adressée, justement, à ladite banque. « Vos politiques sont conçues pour piéger des gens qui n’ont ni recours ni droit à l’erreur », lance-t-il.
Ce court passage est représentatif d’un film qui, sous couvert de satire et d’excentricité, tient un propos sérieux.
Scénariste à Saturday Night Live, Julio Torres sait en l’occurrence repérer le potentiel comique dans toute situation, comme il en fait à répétition la démonstration dans ce second long. Sa représentation d’une bureaucratie gouvernementale foncièrement surréaliste dans ses non-sens est l’occasion d’une brillante analogie visuelle digne de Brazil, de Terry Gilliam.
Du grand Swinton
Outre la tyrannie de l’immigration, Torres intègre une myriade de sousthèmes et de préoccupations, comme la flambée du coût de la vie, ou encore la fatuité de l’industrie de l’art contemporain.
À cet égard, Torres montre comment un artiste convenablement torturé a souvent besoin d’avoir à ses côtés une personne conciliante, empathique et patiente jusqu’à l’oubli de soi.
Ceci expliquant cela, Tilda Swinton est tout de paradoxes dans le rôle d’Elizabeth, cette patronne impérieuse, caractérielle, injuste, paranoïaque, impossible… mais également désemparée, touchante, généreuse, lucide, bref, furieusement humaine. Le personnage ne déparerait pas un film de Pedro Almodóvar. Du grand Swinton.
Quant à Julio Torres, qui, à 37 ans, en fait à peine 20, il est au fond comme Candide. L’apprentissage de la vie, il le fera dans le giron de celle qui se révèle être une bonne fée sous des atours de dragon.