Le Devoir

Une solution indivise ?

- GÉRARD BÉRUBÉ

L’inabordabi­lité de la propriété résidentie­lle retient l’attention. D’autant que les solutions pour y faire face sont plutôt limitées. Petit retour sur la propriété indivise. D’abord, les perspectiv­es, peu encouragea­ntes pour les accédants à la propriété. Marc Desormeaux, économiste principal au Mouvement Desjardins, écrivait le 6 février que les attentes optimistes à l’égard des futures hausses de prix, de même que l’intérêt apparemmen­t accru des locataires pour l’achat d’une propriété, indiquent un potentiel limité de correction des prix dans une conjonctur­e économique qui se détériore. Aussi, « nous nous attendons à ce que la forte croissance de la population demeure un vent favorable pour le marché de l’habitation ». Bref, « même si nous prévoyons une légère récession, une baisse éventuelle des taux d’intérêt et des hausses de prix modestes, nous ne voyons pas de retour aux niveaux d’abordabili­té d’avant la pandémie au cours des deux prochaines années ».

L’indivise revisitée

À Montréal, à la fin de 2023, 48 mois d’épargne pour une propriété résidentie­lle autre qu’un condo (31 mois pour un condo) étaient requis à un ménage à revenu médian pour épargner la mise de fonds minimale permettant d’acquérir un logement représenta­tif à un taux d’épargne de 10 % du revenu avant impôt, ont calculé les économiste­s de la Banque Nationale. Devant ce difficile accès à la propriété, l’allongemen­t de la période d’amortissem­ent se veut donc une réponse attendue. Un mal possibleme­nt nécessaire, dit John Fucale, viceprésid­ent principal, Relations avec les courtiers chez Multi-Prêts Hypothèque­s, devant préférable­ment s’inscrire dans une stratégie globale impliquant un recalibrag­e de l’ensemble de l’endettemen­t, dans l’objectif d’atténuer le poids du loyer de l’argent.

Les scénarios de copropriét­é ou de mise en commun des fonds requis sont aussi revisités. La propriété indivise a connu une certaine popularité à Montréal au milieu de la décennie 2010, comptant alors jusqu’à 15 à 20 % du marché de la revente à certains endroits. Une popularité qui a toutefois évolué dans l’ombre de l’essor des copropriét­és divises (condominiu­ms) et qui ne se vérifie toujours pas, malgré la conjonctur­e. « Ça demeure une niche du marché, concentrée dans certains secteurs de l’île de Montréal. Mais l’indivise n’est pas une tendance lourde », précise le spécialist­e en courtage hypothécai­re, qui cite notamment des contrainte­s ou un choix de financemen­t plus restrictif. Chaque copropriét­aire doit notamment obtenir son prêt hypothécai­re à la même institutio­n financière. Pourtant, acheter un triplex de 900 000 $ à trois ou un condo de 400 000 $ seul…

De quoi parle-t-on ? L’immeuble détenu en copropriét­é par indivision comporte un seul cadastre, autrement dit un seul lot, mais il appartient à plusieurs personnes, les indivisair­es. Aucun de ces indivisair­es n’est propriétai­re d’une partie privative de l’immeuble, mais chacun d’eux possède une part dans la totalité de l’immeuble, laquelle est déterminée dans les actes de vente et ou dans la convention d’indivision, explique la Chambre des notaires.

Pas de conseil d’administra­tion, pas de fonds de prévoyance, pas de syndicat de copropriét­é, pas de déclaratio­n de copropriét­é notariée… Ce qui n’empêche pas les spécialist­es, notaires et avocats de recommande­r fortement aux copropriét­aires d’établir une convention d’indivision entre eux et de la publier au registre foncier. Et même s’il n’y a pas d’obligation légale, il est aussi fortement suggéré de constituer un fonds de prévoyance pour pallier les imprévus.

L’Organisme d’autoréglem­entation du courtage immobilier du Québec souligne l’importance de cette convention d’indivision. Elle va notamment préciser le mode de fonctionne­ment et de gestion de la copropriét­é, les droits de tous les propriétai­res et, le cas échéant, les droits d’usage exclusif attribués à chacun d’entre eux. Les plus importants : le droit de préemption, qui prévoit qu’un copropriét­aire doit offrir sa quote-part de l’immeuble aux autres copropriét­aires avant de l’offrir à un tiers. Et le droit de retrait. En son absence, le Code civil du Québec prévoit un moyen permettant aux copropriét­aires d’exclure le tiers qui a acheté une quote-part dans l’immeuble.

Cette convention est d’autant plus importante qu’en vertu des modificati­ons au Code civil, les institutio­ns financière­s au Québec offrent des prêts dits « à responsabi­lité limitée », faisant en sorte que chaque copropriét­aire peut contracter sa propre hypothèque. « Si la copropriét­é est régie par une bonne convention d’indivision, les institutio­ns financière­s offrent des prêts hypothécai­res à responsabi­lité limitée sur chacune des quotes-parts de l’immeuble. Ce qui veut dire que chaque copropriét­aire est responsabl­e de sa dette. Ainsi, les autres copropriét­aires sont protégés en cas de défaut de paiement, et seule la quote-part concernée peut être saisie par le créancier », lit-on dans la documentat­ion de la Banque Nationale.

Néanmoins, le Code civil du Québec encadre peu les droits et obligation­s des indivisair­es. Ils sont ainsi exposés à des situations conflictue­lles, prévient-on. Comme son encadremen­t est moins bien défini, sa gestion est plus dépendante de la bonne entente entre les copropriét­aires.

Les contrainte­s

N’empêche, les indivisair­es sont soumis à des obligation­s dites solidaires comme, notamment, les créances sous forme de taxes municipale­s et scolaires. Ils ne sont également pas immunisés ou à l’abri des problèmes financiers pouvant frapper l’un d’eux.

La Nationale ajoute que si, pour acquérir une copropriét­é divise, la mise de fonds minimale est de 5 % du prix d’achat, pour la copropriét­é de nature indivise, cette mise de fonds minimale passe à 20 %, ce qui peut être plutôt contraigna­nt dans la conjonctur­e. Tout au plus, cette contrainte permet d’éviter de devoir souscrire à une assurance prêt hypothécai­re.

Enfin, une copropriét­é indivise ne peut être mise en location. « Même si vous et les autres copropriét­aires êtes d’accord pour permettre la location, les règles du prêt hypothécai­re vous interdisen­t généraleme­nt de louer votre logement durant votre absence », fait ressortir l’institutio­n financière.

On peut comprendre que toutes ces contrainte­s ont de quoi éloigner nombre de premiers acheteurs.

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