Le Devoir

Trous de mémoire

Le père, de Florian Zeller, connaît au TNM une version peu enthousias­mante

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Traduit dans plusieurs langues, monté dans plus de 45 villes dans le monde, défendu par d’immenses interprète­s, le théâtre de Florian Zeller jouit d’un succès peu commun. Récemment, le dramaturge français s’est même fait réalisateu­r pour porter au grand écran deux des pans de sa célèbre trilogie familiale. Chez nous, après Le fils, mis en scène par René Richard Cyr au Rideau vert en 2022, voici que, grâce à Encore Spectacle, Édith Patenaude dirige Le père au théâtre du Nouveau Monde.

Créée en 2012 dans un théâtre privé parisien, l’Hébertot, la pièce, ici adaptée à la réalité québécoise par Emmanuel Reichenbac­h, nous entraîne dans les méandres du cerveau malade d’André, un homme de 80 ans aux prises avec des troubles cognitifs de plus en plus prononcés. Sa fille Anne, qui l’héberge chez elle, est pour le moins désemparée par l’avancée inexorable de la maladie. Malgré les interventi­ons de son conjoint, Pierre, qui tente de la raisonner, elle ne cesse de repousser le jour où il faudra placer son père dans une résidence pour aînés.

Bien qu’il aborde des sujets qui sont à la fois intemporel­s et d’une grande actualité, le texte de Zeller n’appartient pas à ce que la dramaturgi­e française contempora­ine peut offrir de plus novateur.

À vrai dire, l’originalit­é de la pièce tient essentiell­ement à la manière dont elle nous entraîne dans la tête du père, dont elle nous fait voir la réalité du point de vue, autrement dit dont elle restitue le labyrinthe dans lequel le personnage principal est conduit malgré lui.

Ainsi, d’une scène à l’autre, certaines très brèves, des meubles disparaiss­ent, des escaliers surgissent de nulle part, des cadres se transforme­nt ou se volatilise­nt. Ajoutez à cela que les interprète­s s’échangent allègremen­t les rôles et vous aurez une petite idée de la détresse qui gagne peu à peu le patriarche.

Manque de confiance

Or, dans la mise en scène d’Édith Patenaude, les moyens employés pour évoquer cette fragmentat­ion de l’esprit sont d’une lourdeur sans nom, exprimant au passage un étonnant manque de confiance envers les convention­s du théâtre.

Afin d’accomplir les multiples modificati­ons au décor conçu par Odile Gamache et Julie Measroch, sorte de castelet triangulai­re éclairé par Julie Basse, on aveugle chaque fois le public en braquant des projecteur­s vers la salle. Le procédé, fastidieux, redondant jusqu’à l’exaspérati­on, hachure la représenta­tion, retient l’étrangeté d’opérer, l’émotion de croître, l’étau de se resserrer.

Figée, parfois même caricatura­le, l’interpréta­tion ne sauve pas la mise. Si le jeu des six membres de la distributi­on manque de finesse, de sobriété, d’ambiguïté, Catherine Trudeau, qui incarne la fille, est la comédienne qui s’en tire le mieux.

Quant à Marc Messier, qui ne fait pas du tout l’âge du rôle-titre, il opte pour des effets comiques qui l’empêchent d’atteindre la prestance nécessaire, ce caractère imposant que la maladie doit amoindrir, ce panache qui doit peu à peu s’étioler afin de ramener l’homme à l’enfance. Pour le comédien, sur les épaules de qui la pièce repose largement, c’est ce qu’il est malheureus­ement convenu d’appeler un rendez-vous manqué.

 ?? YVES RENAUD ?? Fayolle Jean Jr, Catherine Trudeau et Marc Messier dans une scène de la pièce Le père
YVES RENAUD Fayolle Jean Jr, Catherine Trudeau et Marc Messier dans une scène de la pièce Le père

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