L’eau noire, l’eau trouble
Christine Beaulieu et Lothaire Bluteau se manipulent l’un l’autre dans le sociothriller La fonte des glaces, elle en agente correctionnelle, lui en tueur à gages
Sur le fleuve en partie gelé, un canot glisse, propulsé par un groupe d’hommes dirigés par une femme, assise à l’arrière. On pourrait croire qu’il s’agit d’une équipe sportive et de son entraîneuse, mais non : à distance de tir, deux policiers surveillent l’embarcation. C’est que les occupants sont, respectivement, des détenus reconnus coupables de meurtres et leur agente correctionnelle. Elle s’appelle Louise, et elle a créé un programme expérimental visant à endiguer le risque de récidive une fois les prisonniers relâchés. Or, les convictions de Louise seront ébranlées par l’arrivée de Marc, un tueur à gages qui est peut-être responsable de la mort de sa mère. Dans La fonte des glaces, sous la surface d’un drame social coulent les eaux noires d’un thriller.
En effet, dans cette intrigue imaginée par Sarah Lévesque et François Péloquin, et réalisée par ce dernier (on doit au tandem le prometteur Le bruit des arbres), le contexte pénitentiaire est plus qu’une simple toile de fond. Par l’entremise dudit programme expérimental inventé par Louise (et donc par les coscénaristes), le film explore un substitut intéressant aux méthodes punitives traditionnelles. Méthodes auxquelles sont attachés, à l’exception de la supérieure de Louise, qui voit les résultats positifs, tous les autres membres du personnel carcéral.
D’ailleurs, les gardiens de prison, avec leur animosité butée et parfois puérile, font des antagonistes un brin caricaturaux.
Impartie de contradictions intéressantes, la protagoniste, Louise, est en revanche d’une belle densité psychologique. À ce rôle de femme de tête qui en fait à sa tête, l’hyper talentueuse Christine Beaulieu insuffle d’infinies nuances de détermination puis de doute, d’imperturbabilité puis de vulnérabilité.
En somme, avec une partition qu’une actrice moins douée aurait pu jouer tout d’un bloc, Christine Beaulieu fait de la dentelle. La comédienne partage en outre de belles scènes avec l’acteur Marc Béland, convaincant en père ex-policier de Louise.
Sincère ou fourbe ?
Quant à Lothaire Bluteau, il compose un assassin complètement imprévisible. Derrière l’indifférence calculée, on sent sourdre la peur : celle qu’éprouve son personnage, Marc, à l’idée de se révéler malgré lui. Distance et silence sont pour lui des armes, mais le voici contraint de vivre en communauté, de collaborer, de partager…
Menaçant une seconde, à fleur de peau la suivante, l’interprète de Jésus de Montréal est toujours aussi captivant : ce plan où, lors de sa première excursion en canot sur glace, Marc sourit pour la première fois comme malgré lui, est pure magie.
C’est par l’entremise de ce personnage que le film se meut en suspense à combustion lente ou, plutôt, à fonte lente. Marc est-il sincère, ou fourbe ? Accepte-t-il réellement de donner une chance aux méthodes peu orthodoxes de Louise ? Au contraire, l’assassin manipule-t-il simplement l’agente correctionnelle idéaliste en lui faisant croire qu’elle l’a gagné à sa cause ?
Et Louise, pour le compte ? Entendelle se venger de Marc ou en faire l’ultime cas d’école prouvant le mérite de son programme ?
Atout inestimable
Du côté de la réalisation, François Péloquin déploie des trésors d’imagination afin de maintenir dynamisme et mouvement lors des nombreuses scènes d’échanges à deux ou en groupe dans des lieux clos (exemple : travailler avec la profondeur de champ et les cadres à l’intérieur du cadre lors d’une séquence de thérapie filmée dans des pièces contiguës).
Des prises de vues aériennes, à valeur symbolique, aident le film à transcender son confinement budgétaire.
À cet égard, la qualité et le niveau d’intensité de jeu qu’offrent Christine Beaulieu et Lothaire Bluteau constituent un atout d’autant plus inestimable.
La fonte des glaces
1/2
Thriller de François Péloquin. Scénario de Sarah Lévesque et François Péloquin. Avec Christine Beaulieu, Lothaire Bluteau, Marc Béland, Étienne Lou. Québec, 2024, 106 minutes. En salle.