Le Devoir

Se reconstrui­re après la violence

La réalisatri­ce australo-iranienne Noora Niasari a puisé dans ses souvenirs d’enfance afin de raconter, dans Shayda, le séjour d’une mère dans un refuge pour femmes victimes de violence

- CRITIQUE ANNE-FRÉDÉRIQUE HÉBERT-DOLBEC LE DEVOIR Shayda

Dans la scène d’ouverture de Shayda, premier long métrage de la réalisatri­ce australo-iranienne Noora Niasari, une jeune mère iranienne tient sa petite fille par la main dans un aéroport. Du doigt, elle lui pointe les endroits sûrs où elle peut se cacher ou demander de l’aide si, durant l’une de ses sorties non supervisée­s avec son père, ce dernier tente de l’enlever et de lui faire traverser la frontière.

Cette peur viscérale et cette insécurité sont au coeur de chaque plan du film, dans lequel Shayda (Zar Amir Ebrahimi, toute en nuances) trouve refuge dans un centre qui accueille des victimes de violence, en Australie, avec sa fillette de 6 ans, Mona (Selina Zahednia, juste). Elle fuit un mari tyrannique, Hossein (Osamah Sami), déterminé à les ramener toutes deux, ou à tout le moins l’enfant, dans leur pays natal, l’Iran, dès ses études de médecine terminées.

Le schéma narratif du harcèlemen­t conjugal étant maintenant connu de nos imaginaire­s collectifs, le déroulemen­t du récit est attendu. Noora Niasari se sert toutefois de cette prévisibil­ité pour bâtir un univers réaliste dans lequel l’intensité des émotions est balancée par des bribes de quotidienn­eté et par le passage obstiné du temps qui contraint à la survie.

Enfermant ses protagonis­tes dans un cadre exigu et étouffant, la cinéaste suggère plus qu’elle montre, à quelques exceptions près, la violence physique et psychologi­que à laquelle sont soumises ses deux héroïnes. Les silences, une tension sourde inspirée du thriller noir, quelques changement­s de plan inattendus et le jeu incarné et tout en retenue des deux actrices principale­s sont suffisants pour évoquer la peur, le danger et la permanence du traumatism­e.

Sans perdre de vue le fardeau de la violence conjugale et culturelle sous lequel ploie son personnage, la réalisatri­ce trace impercepti­blement son chemin vers la lumière avec une caméra qui se fait soudaineme­nt plus fluide et proche des corps. Dans des plans laissant davantage de place aux mouvements qu’aux visages, elle insiste sur le réseau de soutien formé par les résidentes du refuge, sur le moment présent imposé par l’enfance, sur le pouvoir de la danse ainsi que sur la force de son héritage — le récit se déroule durant Norouz, le Nouvel An iranien, dont la symbolique de renaissanc­e donne lieu à des instants empreints de candeur et d’espoir.

Le contraste saisissant offert par ces scènes reflète avec doigté les impératifs contradict­oires qui se disputent un coin dans l’esprit de Shayda, dont les désirs de liberté et de mouvement cherchent à créer une brèche dans les traditions iraniennes et la place qu’elles réservent aux femmes ainsi que dans sa crainte de se voir retirer sa fille.

Dans ce film largement inspiré de ses souvenirs d’enfance, Noora Niasari fait preuve d’une excellente maîtrise du rythme et des atmosphère­s, concoctant un récit certes prévisible, mais étoffé et bouleversa­nt de vérité.

Drame de Noora Niasari. Avec Leah Purcell, Zar Amir Ebrahimi et Lucinda Armstrong Hall. Australie, 2023, 118 minutes. En salle.

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JANE ZHANG Une scène tirée du film Shayda, avec en vedette l’actrice Zar Amir Ebrahimi

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