Trois femmes en Louisiane française
Julia Malye plonge dans le quotidien de femmes françaises envoyées en Louisiane au XVIIIe siècle pour y faire grandir la colonie
Elles se sont embarquées pour la Louisiane sur un bateau nommé La Baleine, quittant un Paris sans espoir pour porter dans leur ventre les fruits dudit Nouveau Monde. Elles étaient orphelines ou parias, elles sont devenues mères ou religieuses, pour le meilleur et pour le pire.
Dans son roman La Louisiane, la jeune Julia Malye retrace l’histoire de trois femmes qui ont fait le trajet à partir de la Salpêtrière, cet établissement à la fois hôpital, orphelinat et prison du Paris du XVIIe siècle, jusqu’à la Louisiane, où elles ont pour destin de prendre mari et de faire des enfants.
Geneviève, faiseuse d’anges, a été emprisonnée à la Salpêtrière pour avoir perpétré des avortements. Pétronille, esprit rebelle, a été reniée par sa famille. Et Charlotte est orpheline. « Elle n’a jamais connu sa mère. La seule figure un peu maternelle qu’elle a eue, c’est la supérieure de la Salpêtrière, qui lui confie cette mission-là, dont elle se sent investie, pour une fois », explique l’autrice, rencontrée au cours d’une tournée à Montréal.
Julia Malye elle-même, à la fois bûcheuse et surdouée, a un parcours inusité. À quinze ans, elle publiait un premier roman, La fiancée de Tocqueville, où elle s’inspirait de l’histoire de son aïeule, pour qui Tocqueville s’était battu en duel avant de venir en Amérique et d’épouser une roturière anglaise. Depuis, Julia Malye a fait des études à Sciences Po et à la Sorbonne, avant de mettre le cap sur les États-Unis, où elle a obtenu une maîtrise en création littéraire, en anglais.
Une histoire oubliée
C’est d’ailleurs en anglais que cette Parisienne a écrit la première version de La Louisiane. Au cours d’un séjour aux États-Unis, elle comprend avec émerveillement que des cours de création littéraire s’y donnent au coeur d’un cursus universitaire. « J’ai été assez surprise de voir que je pouvais suivre des cours d’écriture et avoir des crédits universitaires pour ça », dit-elle.
À la fin de son master en création littéraire, elle visite La Nouvelle-Orléans et découvre l’histoire de ces femmes oubliées « tant par l’histoire de la France que par l’histoire américaine ».
Elle y rencontre un descendant de l’une des passagères de La Baleine, ce navire qui amena 90 femmes de Paris à la Louisiane, qui avait consigné leur histoire dans un livre autopublié. « Je connaissais l’histoire des Filles du Roy, qui sont parties quelques décennies avant les femmes de La Baleine. Par contre, je n’avais jamais entendu parler des femmes déportées de la Salpêtrière, à Paris, jusqu’en Louisiane », dit-elle. En cours de recherche, Julia Malye mettra aussi la main sur la liste des passagères de La Baleine.
« C’est bouleversant parce qu’en fait, il y a le nom et le prénom des femmes, qui sont parfois écorchés ou mal écrits, et ensuite il y a l’âge », raconte-t-elle.
De ces miettes de l’histoire naissent les trois personnages principaux de La Louisiane. C’est d’abord entre les murs froids de la Salpêtrière que l’on fait leur connaissance.
Refuge devenu prison
La Salpêtrière, en cette époque du XVIIIe siècle, « c’est un peu une utopie devenue dystopie, explique-t-elle. Parce que ça avait été créé par le roi pour donner aux indigents et aux indigentes un toit et de quoi se nourrir, mais que ça s’est transformé en système carcéral pour marginaux. D’ailleurs, c’était vraiment une ville à côté de la ville, parce que ça ne faisait pas encore partie de Paris. Ce sont plusieurs centaines,
voire plusieurs milliers de personnes qui y étaient enfermées ».
C’est pour y échapper que les héroïnes de Julia Malye finissent par s’enrôler de plein gré pour La Louisiane, en quête d’un avenir meilleur, avec pour mission d’y faire des enfants pour la colonie.
Par moments, dit-elle, « ça me faisait penser un peu au rôle des femmes, à la façon dont elles sont instrumentalisées dans La servante écarlate, de Margaret Atwood. Elles sont mariées et leur rôle, c’est de faire des enfants. »
À travers les aléas de la vie de ces femmes de ce côté-ci de l’Atlantique se dessine, du moins pour deux d’entre elles, une attirance homosexuelle. « J’ai inventé cette histoire-là [d’homosexualité] en essayant de voir dans quelle mesure chacune d’entre elles, en fonction de qui elles étaient en quittant la France, a pu trouver des zones de liberté ou se réinventer. Mais je ne prétends pas poser sur cette époque un regard contemporain qui trahirait en fait le système de valeurs de ces femmes-là. »
Le projet la tiendra occupée durant huit ans, entre les nombreuses réécritures et relectures et la rédaction en anglais, puis en français. « J’ai eu des moments de détresse », confie-t-elle. La Louisiane s’est d’abord décliné en dix personnages et dix points de vue différents, avant de passer de 250 à 600 pages.
Mais Julia Malye a non seulement l’imagination fertile, elle est aussi une travailleuse acharnée. Après avoir terminé une première version en anglais, entamée lors de son séjour aux États-Unis, elle s’attelle à une version française une fois rentrée en France. Car c’est bien en français que ces femmes vivaient, dans la NouvelleFrance de l’époque. Le livre, très bien accueilli en France, est par ailleurs déjà traduit en plusieurs langues. Lors de notre rencontre, Julia Malye s’apprêtait à aller lancer la version anglaise à La Nouvelle-Orléans.
Entre-temps, elle s’est bien sûr remise à l’écriture, mais cette fois sur le mode de l’essai. Après avoir passé de longues années dans l’univers de la Louisiane de l’époque, elle avait envie d’écrire sur un monde « où l’on entend des téléphones sonner et des klaxons dans la rue ».