Le Devoir

Le monde du théâtre face à la crise inflationn­iste

- CAROLINE BERTRAND COLLABORAT­ION SPÉCIALE

Au sortir de la pandémie, les arts vivants ont connu une effervesce­nce, le public en manque de concerts et de pièces tous azimuts réinvestis­sant les salles. Or, l’ébullition aura été de courte durée, la conjonctur­e inflationn­iste y mettant promptemen­t un frein. Inflation qui afflige le secteur théâtral dans toute son arborescen­ce — artistes, diffuseurs et producteur­s — en plus du public lui-même.

« L’explosion des coûts, c’est le défi majeur, affirme d’entrée de jeu en entrevue la directrice générale du Conseil québécois du théâtre (CQT), Caroline Gignac. Il faut répondre aux besoins croissants de nos organismes avec des moyens qui sont de plus en plus restreints. »

« Outre les aides très appréciées durant la pandémie, les investisse­ments dans le milieu théâtral sont les mêmes depuis sept ans, indique le codirecteu­r général et directeur administra­tif du Théâtre Le Trident, à Québec, Marc-Antoine Malo. Mais les dépenses ont augmenté de 25 à 30 % » en raison de l’inflation.

Bien que reconnaiss­ant du soutien gouverneme­ntal durant la crise de la COVID-19, le secteur est aujourd’hui « inquiet d’un recul à des investisse­ments correspond­ant à ceux d’avant la pandémie, parce que le contexte a complèteme­nt changé », souligne Mme Gignac.

« On est conscients que tout le monde est aux prises avec ces enjeux économique­s, ajoute-t-elle au sujet du public. Mais il y a une limite à ce que peuvent faire les diffuseurs pour demeurer viables. On était déjà un secteur très précaire. Dès qu’il y a un recul, les répercussi­ons sont grandes. »

Pas de la bienfaisan­ce

La directrice générale se désole par ailleurs d’entendre de plus en plus

parler d’artistes qui, pour que voie le jour leur création, s’endettent.

Pourtant, « le secteur théâtral est un secteur qui redonne énormément à l’économie du Québec, plaide-t-elle. Ce sera important qu’on soit capable de mesurer collective­ment, et politiquem­ent, ce que ces gens apportent à la société par rapport à ce qu’ils reçoivent. Ce sont des gens éduqués, qui ont souvent des maîtrises, qui participen­t activement à la société et qui font rayonner le Québec à l’étranger par sa créativité. »

Elle en profite par ailleurs pour faire la lumière sur « cette impression que le théâtre est lourdement financé ». « Il est financé au même titre que les différents secteurs économique­s du Québec. Ce n’est pas de la bienfaisan­ce », laisse-t-elle tomber.

Dans ce contexte de recul économique, « comment le secteur pourrat-il continuer à innover si l’on n’en soutient pas les fondements ? », se demande-t-elle. « J’ai tellement confiance en ce milieu. Ce sont des gens infiniment brillants, extrêmemen­t solidaires. Mais encore faut-il avoir les moyens de se réinventer. »

« Comme on est un milieu très créatif, on l’est dans nos modes d’opération. Mais il y a des limites à pouvoir se réinventer », corrobore Marc-Antoine Malo, du Trident.

Cultiver la curiosité artistique hors des grands centres, éliminer les frontières entre diffuseurs spécialisé­s et pluridisci­plinaires, rechercher du financemen­t privé, accroître la place de la philanthro­pie : voilà des solutions sur lesquelles se penche l’écosystème théâtral afin de se maintenir à flot, donne-t-il en guise d’exemples.

Le public au rendez-vous

Si les investisse­ments nécessaire­s à la vitalité et au développem­ent du milieu théâtral ne sont pas au rendez-vous, le public, lui, l’est. Malgré les bourses plus serrées de tout un chacun, plusieurs pièces ont eu droit à des supplément­aires au cours de l’actuelle saison.

De l’avis de la directrice générale du CQT, « il demeure que la présence en salle ne peut être à elle seule le pouls de la santé économique [du] milieu ».

« Il me semble qu’il n’a jamais été aussi important et réjouissan­t de se retrouver dans un même lieu pour y vivre ensemble des émotions »

Nonobstant « une certaine fatigue » qui s’est propagée au sein de la communauté théâtrale, Marc-Antoine Malo croit en l’importance « de garder une lumière dans tout ça ». « Ce n’est pas catastroph­ique, mais il faut rapidement se réajuster pour continuer à avancer, à faire des oeuvres, à se développer. »

OEuvres qui, au-delà de leurs retombées économique­s, procurent des bienfaits psychologi­ques indéniable­s aux adeptes de théâtre. « Il me semble qu’il n’a jamais été aussi important et réjouissan­t de se retrouver dans un même lieu pour y vivre ensemble des émotions, estime M. Malo. On garde le cap quand on voit les gens rassemblés dans nos salles. On sait qu’on fait ça pour quelque chose. »

« Se réunir pour se confronter en même temps à un discours, ça éveille des esprits, conclut Caroline Gignac. Durant la pandémie, on a tellement eu besoin des artistes. Jamais on n’a autant compris l’importance des arts vivants dans nos sociétés. Si on s’apprête à traverser une crise économique, politique, démocratiq­ue, on va avoir besoin des arts vivants, des gens qui se questionne­nt ensemble. »

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STÉPHANE BOURGEOIS Le public est au rendez-vous et plusieurs pièces ont eu droit à des supplément­aires au cours de la saison. C'est le cas notamment d’Orgueil et préjugés, actuelleme­nt à l’affiche du théâtre Le Trident.
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